Le Royaume-Uni intensifie les tensions avec la Chine, en alliance avec les États-Unis

Le gouvernement britannique a pris de nouvelles sanctions contre la Chine, qu’il accuse d’avoir organisé une cybercampagne «malveillante» contre des députés et contre la Commission électorale, l’organisme de surveillance des élections.

En coordination avec les États-Unis, le gouvernement conservateur de Rishi Sunak signale une accélération de l’inversion du dégel des relations avec la Chine. Telle avait été la politique du gouvernement conservateur dirigé par David Cameron de 2010 à 2015. Cameron est aujourd’hui ministre des Affaires étrangères du gouvernement en crise de Sunak.

Lundi, Washington et Londres ont annoncé des sanctions à l’encontre de deux personnes et d'une entreprise liées à APT31, un groupe affilié à l’État chinois. Déclarant que des cyber-attaques avaient «mis en danger la sécurité nationale », Londres a indiqué que le système de la Commission électorale avait été accessible à des agents chinois. La commission détient les données de 40 millions d'électeurs, dont les noms et adresses de toute personne inscrite au Royaume-Uni sur les listes électorales entre 2014 et 2022, ainsi que les noms des personnes inscrites sur les listes électorales à l'étranger.

Le ministre des Affaires étrangères David Cameron s'exprimant lors de la réunion hebdomadaire du Cabinet, le 26 mars 2024 [Photo by Simon Walker/No 10 Downing Street / CC BY-NC-ND 2.0]

Un communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères, du Centre de cybersécurité nationale et du ministère de l’Intérieur fait état d’un «comportement de cyber-activité malveillante de la part d’organisations et d’individus affiliés à l’État chinois, ciblant les institutions démocratiques et les parlementaires».

Il déclare que « le Royaume-Uni peut révéler aujourd’hui que le Centre national de cybersécurité (initiales anglaises NCSC) – qui fait partie du GCHQ (le centre d’espionnage britannique) – estime que les systèmes de la Commission électorale britannique ont très probablement été compromis par une entité affiliée à l’État chinois entre 2021 et 2022 ».

Il ajoute que le NCSC «estime qu’il est presque certain que le Groupe 31 de menace persistante avancée (APT31), affilié à l’État chinois, a mené des activités de reconnaissance contre des parlementaires britanniques au cours d’une campagne distincte en 2021. La majorité des personnes ciblées ont dénoncé les activités malveillantes de la Chine».

Les sanctions visent la «Wuhan Xiaoruizhi Science and Technology Company Limited», «qui est associée à APT31, opérant pour le compte du ministère chinois de la Sécurité d’État (MSS en anglais) dans le cadre de l’appareil parrainé par l’État chinois», ainsi que Zhao Guangzong et Ni Gaobin, tous deux accusés d’«opérer pour le compte du ministère chinois de la Sécurité d’État (MSS)».

Avant d’annoncer les sanctions au Parlement lundi après-midi, le vice-premier ministre Oliver Dowden avait déclaré aux médias que la Chine représentait «la plus grande menace étatique» pour la Grande-Bretagne. «Nous n’hésiterons pas à prendre des mesures rapides et énergiques chaque fois que le gouvernement chinois menacera les intérêts du Royaume-Uni… Le Royaume-Uni estime que ces actions démontrent un modèle de comportement clair et persistant qui signale une intention hostile de la part de la Chine» avait-t-il déclaré.

Le même jour, quatre membres de l’«Alliance interparlementaire sur la Chine » – anti-chinoise – l’ex-leader conservateur Iain Duncan Smith, l’ex-ministre Tim Loughton, l’ex-porte-parole du Parti national écossais pour la Défense Stewart McDonald et le membre du parti d’opposition David Alton – ont été informés par la directrice de la sécurité du Parlement, Alison Giles, de manœuvres chinoises présumées visant à pirater leurs appareils électroniques. Et ce, en dépit du communiqué de presse du gouvernement affirmant qu’«aucun compte parlementaire n’a été compromis avec succès».

Ces députés ont ensuite tenu une conférence de presse. Duncan Smith réclame depuis longtemps une politique plus sévère à l’égard de la Chine, notamment qu’elle soit officiellement déclarée une «menace» pour les intérêts nationaux du Royaume-Uni, au lieu de sa désignation actuelle de «défi».

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Ces propos ont été accompagnés d’une couverture médiatique hystérique. La première page du Telegraph de lundi était intitulée «La Chine et la Russie ‘répandent des insultes contre la princesse de Galles’». Le journal affirmait que la princesse Catherine, à qui l’on a diagnostiqué un cancer curable, faisait l’objet d’une campagne de désinformation destinée à «déstabiliser la nation». Une source gouvernementale a déclaré: «Une partie du modus operandi des États hostiles consiste à déstabiliser les choses – qu’il s’agisse de saper la légitimité de nos élections ou celle d’autres institutions».

Cinq journaux nationaux ont fait leur première page mardi avec un message anti-chinois et trois d’entre eux – le Telegraph, le Times et le Mail – ont demandé au gouvernement d’aller beaucoup plus loin dans les mesures contre la Chine.

Le Mail se plaint de ce que «les sanctions contre deux acteurs clés et une entreprise chinoise pour cyber-espionnage sont dérisoires», insistant pour que le Premier ministre Rishi Sunak se déclare « prêt à qualifier la Chine de menace pour notre sécurité et notre prospérité. Il ne peut plus apaiser les brutes de Pékin».

Mercredi, The Independent a publié un article «à lire» du journaliste Jonathan Margolis, intitulé « Comment la Chine a volé l'Occident (et nous l’avons gracieusement livré)».

L’article affirme que «le Parti communiste chinois considère la domination du monde comme un travail en cours, mais beaucoup pensent que c’est en grande partie une affaire réglée».

La Chine, écrit Margolis, a exploité une Grande-Bretagne qui était «encore (incroyablement) le neuvième producteur industriel» mais dont la population était «de plus en plus ivre, droguée, peu disposée au travail, indécise et distraite par des futilités stupides – guerres culturelles sur le genre, Brexit, famille royale, pronoms, wokisme et le reste de nos blessures sans doute auto-infligées».

Cette réorientation de la politique britannique pour affronter directement la Chine sur le plan économique et militaire est exigée par Washington dont la propre position mondiale se dégrade face à son principal concurrent.

Cette réorientation fait payer un lourd tribut à l’impérialisme britannique, la Chine représentant 93 milliards de livres sterling (7,3 pour cent) du total des échanges commerciaux du Royaume-Uni en 2021. Les nouvelles sanctions et l’exigence de renommer la Chine comme une «menace» interviennent alors que le fabricant chinois EVE Energy prévoit d’investir 1,2 milliard de livres sterling pour créer la plus grande usine géante de batteries du Royaume-Uni dans la banlieue de Coventry, en Angleterre. Au moins 6.000 emplois, et des milliers d’autres dans la chaîne d’approvisionnement, sont en jeu si la Chine se retire.

Le Financial Times, citant des «initiés du gouvernement», note que «Kemi Badenoch, la secrétaire d’État aux Affaires, fait pression pour s’assurer que tout nouveau régime soit conçu en tenant compte des “implications commerciales”, afin d’éviter de nuire indûment aux relations commerciales avec la Chine et aux investissements des entreprises chinoises au Royaume-Uni…».

La semaine dernière, la Grande-Bretagne et le gouvernement travailliste australien ont renforcé leur alliance militaire contre la Chine dans le cadre du pacte trilatéral AUKUS avec les États-Unis. Le 21 mars, le ministre australien de la Défense Richard Marles et son homologue britannique Grant Sharps ont signé l'Accord sur le statut des forces (initiales anglaises SOFA), par lequel ils s'engagent à réagir conjointement en cas de menace militaire.

Comme l’a noté le World Socialist Web Site, «les ministres ont directement lié l’escalade du conflit avec la Chine à la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Dans les premiers mots de leur déclaration commune, ils déclarent que la «sécurité et la prospérité» de la région euro-atlantique et de la région indo-pacifique étaient «inséparables».

La déclaration du Royaume-Uni et de l’Australie était accompagnée d’une «déclaration trilatérale AUKUS» qui «réaffirmait» un plan de production conjointe de sous-marins d’attaque à longue portée et à propulsion nucléaire destinés à être utilisés contre la Chine.

Le fait que Cameron fasse désormais partie d’un gouvernement sur le point de déclarer que la Chine est une menace illustre les tensions croissantes entre les grandes puissances. Malgré la diminution de son rôle sur la scène mondiale depuis la perte de l’empire, la Grande-Bretagne reste une puissance nucléaire qui soutient toutes les actions de l’impérialisme américain dans la guerre de l’OTAN contre la Russie et le génocide d’Israël à Gaza.

Il y a moins de dix ans, Cameron, en tant que Premier ministre, avait déroulé le tapis rouge pour le président Xi lors de sa visite d’État en Grande-Bretagne, en 2015, où il a été accueilli par la reine. C’était après que la Grande-Bretagne soit devenue membre fondateur de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures dans l’espoir de se positionner comme un acteur clé pour l’accès de la Chine aux marchés européens.

Le conflit croissant entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle des marchés mondiaux et du commerce a détruit cette stratégie, et le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en 2016, mené par les sections les plus à droite du Parti conservateur, a nécessité un soutien encore plus servile à l’impérialisme américain.

En 2021, le ministère britannique de la Défense a publié son Examen intégré de la politique étrangère et de défense, ainsi qu’un autre document stratégique intitulé «Defence in a Competitive Age» (La défense à l’ère de la concurrence), qui visaient directement la Russie et la Chine. Cette publication fut suivie d’une provocation majeure contre Pékin en mer de Chine méridionale en septembre 2021, lorsque le HMS Richmond, une frégate de guerre de type 23 déployée avec un groupe d’intervention de porte-avions, a traversé le détroit de Taïwan – la première fois qu’une frégate britannique le faisait depuis plus d’une décennie.

Les allégations que la Chine espionne le Royaume-Uni et ses représentants élus – en particulier ceux qui sont connus pour leur hostilité à l’égard de Pékin – sont le comble de l’hypocrisie. Toutes les grandes puissances espionnent leurs rivaux. La Grande-Bretagne dispose de l’une des agences de renseignement les plus complètes au monde, des dizaines de millions de personnes dans le pays étant régulièrement surveillées électroniquement par le GCHQ, comme l’ont prouvé les révélations d’Edward Snowden.

Les allégations d’espionnage ne sont que la dernière manifestation de l’offensive anti-Pékin de Londres. Il y a seulement quelques mois, l’essentiel de l’attaque portait encore sur l’utilisation de la minorité musulmane ouïghoure de la province chinoise du Xinjiang comme main-d’œuvre esclave dans la construction automobile.

(Article paru en anglais le 27 mars 2024)

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