Attaque terroriste de Moscou: la piste ukrainienne

Cinq jours après le terrible attentat terroriste contre un concert de rock à Moscou, qui a fait au moins 137 morts et plus de 180 blessés, la presse occidentale s’est largement mise au diapason. Bien que l’on sache peu de choses sur les auteurs et le contexte de l’acte, tous les commentaires affirment que l’État islamique (EI) a commis l’attaque et que cela exclut toute responsabilité et complicité de l’Ukraine et des puissances de l’OTAN.

Sur cette photo tirée d’une vidéo publiée par le Comité d’enquête de Russie le samedi 23 mars 2024, des pompiers travaillent dans la salle de concert Crocus City Hall, à l’ouest de Moscou, incendiée après l’attentat du 22 mars. [AP Photo/AP Photo / Russlands etterforskingskomité]

Les commentateurs ont du mal à cacher leur satisfaction face à cette attaque. « Le régime de Poutine tente de légitimer son pouvoir en affirmant qu’il protège efficacement la population contre tous les ‘ennemis’ extérieurs et intérieurs», écrit le journal suisse allemand Neue Zürcher Zeitung. À présent on assistait à un «échec retentissant».

Poutine faisait de l’Ukraine un bouc émissaire pour détourner l’attention de cet échec. «Pourquoi Poutine agite-t-il la piste de l’Ukraine? s’interroge la publication allemande t-online. «Parce que l’homme prétendument si fort du Kremlin n’a pas tenu sa grande promesse: protéger son peuple… Poutine utilise la terreur à Moscou pour justifier la terreur de Moscou en Ukraine. Totalement sans scrupules».

Des dizaines de commentaires similaires reprennent le même son de cloche. Cela montre à quel point les médias prétendument «démocratiques» se sont mis au service de la propagande de guerre. En fait, l’attaque porte bien «la marque de la CIA et de ses mandataires à Kiev», comme l’a noté le World Socialist Web Site.

Si l’EI ou l’une de ses succursales a effectivement commis l’attentat de Moscou, cela ne plaide pas contre mais en faveur d’une complicité de l’Ukraine et de l’OTAN. Depuis que la CIA a créé l’Al-Qaïda d’Oussama ben Laden en Afghanistan dans les années 1980 pour combattre les troupes soviétiques, les États-Unis se sont servi à maintes reprises des groupes terroristes islamistes pour atteindre leurs objectifs impérialistes – y compris l’EI.

Des centaines d’islamistes du Caucase et d’Asie centrale opèrent actuellement en Ukraine. Après avoir acquis une expérience de combat au sein de l’EI, ils poursuivent leur lutte contre la Russie avec la couverture officielle de l’armée et des services de renseignement, notamment derrière les lignes ennemies

Les médias occidentaux ne mentionnent pratiquement rien à ce sujet. L’une des rares exceptions est l’article intitulé «Une trace menant à l’Ukraine ?», publié par la Süddeutsche Zeitung le 23 mars. Son correspondant étranger de longue date Tomas Avenarius conclut que la spéculation que les services secrets ukrainiens auraient utilisé des radicaux caucasiens du réseau de l’EI «pour ridiculiser Poutine devant les Russes et le monde entier quelques jours après sa pseudo-élection à la présidence» pourrait bien «avoir du sens».

« Dans la guerre contre les attaquants guerriers russes, des ‘légions’ de musulmans caucasiens et de volontaires russes combattent aux côtés de l’armée ukrainienne. Ils seraient des centaines», rapporte Avenarius. Ils viennent de régions du Caucase appartenant à la Russie, comme la Tchétchénie, l’Ingouchie ou le Daghestan. Nombre d’entre eux ont combattu les Russes en Tchétchénie et «ont ensuite rejoint le réseau terroriste IS lors des guerres et des soulèvements dans le monde arabe».

«Deux décennies plus tard, les combattants anti-Poutine du Caucase poursuivent leur guerre perdue en Ukraine», déclare Avenarius. «Beaucoup d’entre eux étaient déjà des islamistes radicalisés lors de la guerre de Tchétchénie, et ont ensuite combattu en Syrie contre le régime d’Assad, qui était allié à Moscou. Pendant cette période, ils ont souvent rejoint l’EI».

Avenarius est bien placé pour le savoir. Il a été correspondant à Moscou et au Moyen-Orient pour le Süddeutsche Zeitung pendant de nombreuses années et a écrit un reportage primé sur la deuxième guerre de Tchétchénie en 2003.

L’attentat contre le Crocus City Hall de Moscou marque une nouvelle étape dans la guerre que l’OTAN mène contre la Russie. Il survient alors que l’armée ukrainienne est confrontée à la défaite et que l’OTAN pousse à l’escalade de la guerre, notamment en déployant ses propres forces terrestres et en pénétrant profondément à l’intérieur de la Russie.

Comme l’a déclaré le WSWS, l’attaque de Moscou a trois objectifs: «Premièrement, renforcer l’opposition au régime de Poutine au sein de l’oligarchie et de l’appareil d’État; deuxièmement, provoquer une réponse militaire du Kremlin qui puisse servir de prétexte à une nouvelle escalade de la guerre par l’OTAN; et troisièmement, encourager les tensions ethniques et religieuses en Russie qui déstabiliseraient le régime et faciliteraient le découpage de toute la région par les puissances impérialistes ».

L’attaque terroriste s’est accompagnée d’une intensification de la propagande de guerre occidentale. Celle-ci ne reconnaît aucune «ligne rouge» et accepte consciemment le risque d’une escalade nucléaire qui menace de détruire toute l’Europe et une bonne partie du monde.

L’article de Ben Hodges, ancien commandant des forces terrestres américaines en Europe, publié dimanche par la Süddeutsche Zeitung, est typique. Hodges a accusé le président américain, Joe Biden, de ne pas être suffisamment déterminé à soutenir l’Ukraine. Les États-Unis et leurs alliés devaient déclarer que «la victoire de l’Ukraine est leur objectif stratégique», «rendre la Crimée annexée intenable pour les Russes» et faire de la «production d’armes pour l’Ukraine» une priorité, a-t-il exigé.

Le commandant en chef de l’armée allemande (Bundeswehr), l’inspecteur général Carsten Breuer, a réitéré son exigence que l’Allemagne devienne dans les cinq ans «bonne à la guerre» et qu’elle soit en mesure de faire la guerre à la Russie. Le fonds spécial de la Bundeswehr de 100 milliards d’euros, adopté il y a deux ans, n’était qu’un «financement de démarrage» pour «rendre la Bundeswehr apte à faire la guerre». Ce qu’il fallait, c’était «la constance des dépenses de défense» et la mise en place d’une défense antimissile efficace.

Les efforts visant à rendre l’Allemagne «bonne à la guerre» ne se limitent pas au secteur militaire. L’un après l’autre, les ministères allemands subordonnent leur travail à cet objectif.

La ministre allemande de l’éducation Bettina Stark-Watzinger (Parti libéral, FDP) veut envoyer de jeunes officiers militaires dans les écoles et introduire des exercices de défense civile en préparation à la guerre. Les universités doivent être par principe ouvertes à la recherche militaire.

Le ministre de la Défense Boris Pistorus (SPD) prévoit de réintroduire le service militaire obligatoire.

Le ministre de la Santé Karl Lauterbach (social-démocrate, SPD), entend préparer le système de santé allemand aux «conflits militaires». Il a annoncé un projet de loi correspondant pour l’été. «Il serait stupide de dire que nous ne nous préparons pas à un conflit militaire et qu’il n’aura pas lieu», a-t-il déclaré à l’Osnabrücker Zeitung. «Ne rien faire n’est pas une option. Nous avons également besoin d’un “changement d’ère” pour les soins de santé. D’autant plus qu’en cas de situation où un allié a besoin de soutien, l’Allemagne pourrait également devenir une plaque tournante pour les soins aux blessés d’autres pays».

Lors d’une conférence à Berlin, le ministre de l’Économie Robert Habeck (Verts) a déclaré que la «guerre terrestre» était revenue en Europe. Pour cette raison, la production d’armes devait être accélérée et les scénarios de déploiement pour la défense du territoire réactivés. «Et cela aura un prix. Nous devons être clairs à ce sujet».

La ministre de l’Intérieur Nancy Faeser (SPD) associe la propagande de guerre anti-russe à un renforcement systématique de la répression étatique à l’intérieur, qui vise à supprimer la résistance à la guerre et aux coupes sociales.

Elle accuse la Russie de mener une guerre hybride. «Nous assistons à des tentatives d’influence par le biais de mensonges, d’une désinformation massive», a-t-elle déclaré à la Süddeutsche Zeitung. L’espionnage lui aussi était actif. Dans le même temps, elle a accusé le Kremlin de promouvoir délibérément les mouvements de réfugiés et de déstabiliser l’Occident à travers la migration. «Nous vivons actuellement une nouvelle dimension des menaces posées par l’agression russe».

Le gouvernement allemand s’armerait plus fortement contre l’influence de la Russie en Europe occidentale, a-t-elle déclaré. On utiliserait l’intelligence artificielle contre les campagnes de désinformation. Une nouvelle unité de détection précoce des fausses nouvelles au ministère de l’Intérieur était censée démasquer les mensonges avant qu’ils «ne se transforment en grande vague et n’inondent l’internet», a déclaré Faeser. Dans la pratique, cela revient à censurer les opinions indésirables sur les réseaux sociaux.

Dans le même temps, la présence policière dans les espaces publics est renforcée sous prétexte de prévenir les attentats islamistes. En France, le gouvernement a même déclaré dimanche le niveau d’alerte terroriste le plus élevé. Des soldats lourdement armés patrouillent à nouveau dans les gares, les aéroports et d’autres lieux publics.

Quatre-vingt-cinq ans après l’invasion de la Pologne et le début de la Seconde Guerre mondiale, la classe dirigeante allemande renoue avec ses traditions criminelles et militaristes. Cette folie est soutenue par tous les partis représentés au Parlement. Elle ne peut être stoppée que par un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale qui unisse l’opposition à la guerre à la lutte contre sa cause, le capitalisme.

(Article paru en anglais le 27 mars 2024)

Loading