Perspective

Le syndicat des scénaristes (WGA) sabote la grève et tente de faire passer un accord de capitulation

Mardi, la direction du syndicat des scénaristes (WGA – Writers Guild of America) a mis fin à la grève de près de cinq mois des 11.000 scénaristes de cinéma et de télévision sur la base d’un accord de capitulation. Au mépris des droits démocratiques des scénaristes, la grève a pris fin avant un vote sur l’accord et alors que des dizaines de milliers d’acteurs sont toujours en grève. La base aura le «droit» de confirmer l’accord «exceptionnel» autoproclamé du syndicat à partir de la semaine prochaine.

Les scénaristes doivent rejeter l’accord et se battre pour mobiliser l’ensemble de la classe ouvrière contre l’offensive de la classe dirigeante contre les emplois et le niveau de vie.

Le caractère antidémocratique et traitre de la reprise du travail est révélateur. Les dirigeants de certains des plus grands conglomérats sont intervenus personnellement dans le processus de négociation au cours des dernières semaines. Le président Joe Biden et le gouverneur de Californie Gavin Newsom – tous deux démocrates – ont également fait sentir leur présence. Le message de toutes ces puissantes forces de l’establishment était clair: il était temps de conclure. La direction de la WGA s’est conformée docilement.

Acteurs et scénaristes en grève devant les studios Sunset Bronson, Los Angeles, 15 août 2023

L’appareil de la WGA a servi d’agent des sociétés et du gouvernement dans cette grève, exactement de la même manière que l’UAW, les Teamsters et toutes les autres bureaucraties syndicales dans leurs industries respectives.

À l’heure actuelle, les responsables de la WGA, le reste de la direction de l’AFL-CIO, la Maison-Blanche et divers démocrates, les médias et la pseudo-gauche sont unanimes pour déclarer que l’accord de principe conclu dimanche constitue une percée historique.

Ce n’est que tromperie. Après une baisse de 23 pour cent des salaires réels au cours de la dernière décennie, l’accord prévoit des «augmentations» salariales qui sont en fait inférieures à l’inflation, ce qui signifie une nouvelle baisse.

Selon la WGA, l’accord ne coûtera aux entreprises multimilliardaires que 233 millions de dollars par an, alors que le syndicat réclamait une enveloppe de 429 millions de dollars, ce qui était déjà tout à fait insuffisant.

Le coût pour les sociétés est à peine supérieur au montant que Bob Iger de Disney a gagné de 2018 à 2022 (210 millions de dollars) et, remarquablement, 13 millions de dollars de moins que le PDG de Warner Bros. Discovery, David Zaslav, a engrangé il y a deux ans.

Lorsque les conglomérats vont s’y mettre, l’entente de principe démontrera ce qu’elle est réellement: un accord qui ne fait rien pour arrêter leur volonté impitoyable d’organiser une industrie basée sur le travail «à la demande». Contrairement à ce qu’affirment parfois les démagogues syndicaux, les politiques des sociétés ne sont pas déterminées par la «cupidité», aussi rapaces que les différents dirigeants puissent être individuellement, mais par les contradictions objectives et la crise du système capitaliste. En ce qui concerne l’intelligence artificielle, le personnel et les salaires résiduels, les entreprises trouveront des moyens de contourner tous les obstacles mineurs placés sur leur chemin.

Les entreprises géantes y sont obligées. Après avoir vu leur valeur boursière amputée d’un demi-billion de dollars en 2022, les groupes de divertissement, sous la houlette de Wall Street, ont bien l’intention de continuer à baisser leurs coûts et à détruire des emplois.

Dans l’une des évaluations les plus impartiales, le Radio and Television Business Report a titré cette semaine: «L’impact financier de l’accord avec la WGA n’est pas très grave» (Financial impact of WGA settlement no big deal). Le site web a noté que Moody’s Investors Services ne s’attendait pas à ce que l’accord ait un impact notable sur la santé financière des sociétés de médias concernées.

Forbes a souligné que «c’est possible que beaucoup de ceux qui ont fait grève (…) reviennent pour découvrir que leur emploi est toujours en danger, ou qu’il a tout simplement disparu». Dans le même ordre d’idées, CNN a observé que «la triste vérité est qu’il pourrait y avoir moins d’opportunités pour tout le monde, alors que les jours où la télévision dominait semblent destinés à céder la place à un resserrement de la ceinture et à une plus grande sélectivité».

La «double grève» des scénaristes et des acteurs s’inscrit dans le cadre d’une situation sociale et politique instable aux États-Unis et dans le monde, qu’elle n’a fait qu’aggraver. Révoltés par des décennies d’attaques incessantes et de détérioration des conditions de travail, des centaines de milliers de travailleurs d’UPS, de l’automobile, des soins de santé et d’autres secteurs sont entrés en lutte cette année pour regagner une partie de ce qu’ils ont perdu.

Le Wall Street Journal note avec inquiétude que les États-Unis «ont perdu plus de sept millions de journées de travail en raison de conflits sociaux cette année jusqu’au mois d’août, soit plus que toute autre année complète depuis 2000 – et ces chiffres n’incluent pas la grève de l’United Auto Workers qui a débuté au début du mois». Le Journal ajoute que «d’autres débrayages pourraient avoir lieu», faisant référence aux 53.000 femmes de ménage, barmans et autres travailleurs de Las Vegas, aux 75.000 travailleurs du géant de la santé Kaiser Permanente et aux 26.000 membres d’équipage d’American Airlines.

Les chiffres des grèves ne sont eux-mêmes qu’un très pâle reflet de la colère qui bouillonne dans la classe ouvrière.

Les bureaucraties syndicales font tout ce qui est en leur pouvoir pour étouffer les grèves des travailleurs dans le but d’imposer des concessions, d’accroître l’exploitation et de subordonner la vie aux États-Unis à la politique de guerre impérialiste. Elles paralysent, démoralisent et sabotent systématiquement tout effort d’action concertée de la classe ouvrière. Les scénaristes attendaient avec impatience que les acteurs de la Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA) les rejoignent sur les piquets de grève. Seule une mini-révolte de milliers d’acteurs a empêché les responsables de la SAG-AFTRA de conclure un accord traitre. Les scénaristes et les acteurs ont alors anticipé avec enthousiasme la grève de centaines de milliers de travailleurs d’UPS. Les Teamsters ont écrasé ce mouvement de grève. Aujourd’hui, la fin de la grève des scénaristes et des acteurs vise à décourager et à isoler les travailleurs de l’automobile, dont la grande majorité continue de travailler pendant la grève «debout» de l’appareil de l’UAW.

Les scénaristes et les acteurs se sont battus avec acharnement et ont fait preuve d’une grande détermination et d’une grande résistance, mais comme UPS et les travailleurs de l'automobile, ils se sont finalement heurtés à une direction syndicale liée au capitalisme et à sa course au profit, qui considère les sociétés prédatrices comme des «partenaires» importants.

Ils sont soutenus par une série d’organisations de «gauche», dont l’une des principales activités actuelles consiste à agir en tant qu’avocat de la défense des bureaucraties syndicales, dans les rangs desquelles ils nagent aussi confortablement que des poissons dans l’eau. Le magazine Jacobin, par exemple, a déclaré que le comité de négociation de la WGA «déclare que l’accord est “exceptionnel”, ce qui est suffisant pour Jacobin, pour qui tout ce qui va au-delà des vantardises des responsables syndicaux sur leurs propres réalisations “n’est que spéculation”. Le mal nommé Against the Current, un petit groupe de gauche qui encourage les bureaucraties syndicales, a déjà déclaré une “victoire des scénaristes” et une “grande victoire”».

Pour leur part, Joe Biden et les démocrates ont donné leur approbation officielle à l’accord de principe. Le «président le plus pro-syndical de l’histoire» a qualifié l’accord de la WGA de «témoignage du pouvoir de la négociation collective» et a exhorté les autres employeurs à «se rappeler que tous les travailleurs – y compris les scénaristes, les acteurs et les ouvriers de l’automobile – méritent une part équitable de la valeur que leur travail a contribué à créer». Le cynisme rivalise avec l’hypocrisie dans les propos d’une personne qui a interdit la grève des cheminots l’année dernière et qui conduit sans relâche la planète au bord de la guerre mondiale.

Comme toutes les grèves et toutes les luttes menées par les travailleurs, la grève des scénaristes a démontré la nécessité de s’affranchir des contraintes de l’appareil syndical par la mise en place d’un réseau de comités de base dirigés par les travailleurs. Ce n’est que sur cette base que les travailleurs pourront prendre la direction de leurs luttes et les unifier dans une offensive commune contre la classe dominante.

En même temps, la lutte des scénaristes et des acteurs, comme celle de toutes les sections de la classe ouvrière, doit être dirigée contre la structure de la société actuelle et contre une culture de plus en plus dominée par des bellicistes, des criminels, des fascistes et des oligarques.

Le contenu des films et, plus tard au vingtième siècle, de la télévision a toujours été une question explosive aux États-Unis. La production et la popularité des films de l’après-Seconde Guerre mondiale qui critiquaient ou remettaient en question, même de manière limitée, le système économique américain se sont avérées intolérables pour la classe dirigeante, qui a mené une chasse aux sorcières politique brutale pour éradiquer et rendre illégale la pensée de gauche.

Une nouvelle période de bouleversements de masse, en réponse à l’inégalité sociale, à la guerre et au danger de dictature, comporte le risque, pour les pouvoirs en place, d’un renouveau de la production cinématographique et télévisuelle radicalisée et radicalisante. La WGA et les autres syndicats du spectacle considèrent l’emprise des entreprises sur la vie culturelle comme inviolable et éternelle. Ils n’ont jamais dit un mot contre cette mainmise au cours de la grève actuelle. Il s’agit là d’un élément essentiel de leur trahison et de leur défense du statu quo.

Des forces sociales et économiques puissantes agissent à l’échelle mondiale dans la direction opposée, encourageant une approche de la vie plus large et plus riche, critique et révolutionnaire.

La «plume» de l’écrivain-artiste sérieux ne sert jamais de «jouet» pour son «divertissement personnel ou celui des classes dirigeantes», a affirmé un jour Léon Trotsky. Inévitablement, un élément de protestation, qui consiste souvent à dépeindre «les souffrances, les espoirs et les luttes des classes laborieuses», entre dans toute œuvre sérieuse.

Seule la réorganisation de la société, sur la base de l’égalité et de la solidarité, créera les conditions d’une véritable liberté et créativité artistiques. La première condition de la liberté et de la créativité dans la production cinématographique et télévisuelle est qu’elle ne reste pas une activité commerciale. Les discussions sur les piquets de grève ont révélé un virage certain, bien que rudimentaire, à gauche. Les réalités objectives conduiront les travailleurs du cinéma sur la voie d’une lutte consciente contre l’ensemble de l’ordre social existant.

(Article paru en anglais le 29 septembre 2023)

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