‘Nazi Town USA’: la télévision publique américaine se penche sur le Bund germano-américain des années 1930

‘American Experience’, la longue série documentaire de la télévision publique américaine (PBS), a consacré une récente émission au Bund germano-américain, une organisation pro-nazie qui a attiré des dizaines de milliers de membres dans les années 1930.

À l'aide de photos d'archives, de films et de séquences d'actualités, entrecoupés de commentaires d'historiens et de quelques journalistes, « Nazi Town USA » retrace le développement de cette organisation anticommuniste et antisémite extrémiste, tout en y ajoutant des commentaires sociaux et historiques.

Image promotionnelle de PBS pour «Ville des nazis aux Etats Unis» [Photo: Public Broadcasting Service]

L’actualité du sujet est évidente. Donald Trump prépare sa troisième candidature à la présidence des États-Unis et les partis fascistes se renforcent dans le monde entier. Le futur Führer américain est connu pour avoir gardé une copie des discours d’Hitler à son chevet, comme le suggèrent son langage et son style.

Cependant, dans quelle mesure «Nazi Town USA» [Ville des nazis aux États-Unis] éclaire son important sujet est une autre question. L’émission souffre, sans surprise, d’une incapacité à fournir une compréhension plus profonde de l’origine du Bund germano-américain. L’un des historiens interrogés souligne l’importance de l’idéologie nazie et de son attrait, mais évite de révéler ses origines.

Comme l’explique le film, le racisme, l’antisémitisme et l’anticommunisme étaient largement répandus et officiellement encouragés aux États-Unis dans la période qui a suivi la Première Guerre mondiale. La ségrégation Jim Crow était universelle dans les États de l’ancienne Confédération, et la discrimination raciale et les mauvais traitements infligés aux Afro-Américains n’étaient en aucun cas limités au Sud. Le Ku Klux Klan comptait quelque 4 à 5 millions de membres dans les années 1920. Le pionnier de l’automobile Henry Ford était l’antisémite le plus tristement célèbre du pays. Il utilisait son Dearborn Independent pour publier des articles basés sur les notoires Protocoles des Sages de Sion.

Les campagnes anti-immigration, qui ont persisté après les tristement célèbres raids Palmer de 1919-1920 où des milliers de radicaux et d’autres travailleurs nés à l’étranger ont été expulsés, ont conduit à l’adoption de la loi Johnson-Reed sur l’immigration de 1924. Celle-ci a établi un système de quotas signifiant en pratique la quasi-élimination de l’immigration en provenance du sud et de l’est de l’Europe. On s’est servi de la pseudoscience de l’eugénisme pour défendre la suprématie de la race blanche comme moyen d’accroître les caractéristiques «souhaitables» de la population.

Le Bund germano-américain, officiellement fondé au milieu des années 1930, s’appuyait sur tous ces éléments. Son dirigeant était un immigrant allemand, Fritz Julius Kuhn, qui avait émigré aux États-Unis en 1924. Hitler est arrivé au pouvoir en 1933 et Kuhn est devenu citoyen américain à la même époque. Entre-temps, la Grande Dépression avait créé une misère à grande échelle aux États-Unis, comme ailleurs. C’est à cette époque que le «prêtre radiophonique» pro-nazi, le père Coughlin, atteint une audience de 14 millions de gens grâce à ses émissions hebdomadaires diffusées depuis Royal Oak, dans le Michigan.

«Ville des Nazis aux Etats Unis» (Nazi Town USA)

Kuhn ambitionne de devenir un Führer américain. Le Bund a établi son siège dans le quartier de Yorkville à Manhattan, où vivaient alors des milliers d’immigrants allemands, mais aussi dans la ville qui comptait de loin le plus grand nombre de Juifs aux États-Unis. L’organisation s’est développée jusqu’à atteindre 100.000 membres dans tout le pays, y compris dans 45 districts régionaux. Comme le montre «Ville des Nazis», les camps d’été pour jeunes, notamment le Camp Siegfried dans la banlieue de Long Island et le Camp Nordland dans le nord du New Jersey, sont devenus l’un des principaux centres d’activité de l’organisation. Les images, bien que fugaces, sont également fascinantes.

Le Bund a connu plusieurs années de croissance. En 1938, cependant, à l’approche de la Seconde Guerre mondiale, il attire de plus en plus l’attention des autorités politiques et judiciaires américaines. Le procureur de Manhattan, Thomas E. Dewey, plus tard gouverneur républicain et deux fois candidat à la présidence, a poursuivi et condamné Kuhn pour détournement de fonds. Apparemment, le chef du Bund avait prélevé quelque 14.000 dollars sur les fonds de l’organisation et les avait dépensés pour ses maîtresses et d’autres besoins personnels. Kuhn fut condamné à une peine de prison de 2 ½ à 5 ans.

La fortune du Bund était déjà en déclin avant la condamnation de Kuhn, et elle a pris fin avec la guerre. L’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, suivie immédiatement par la déclaration de guerre de l’Allemagne aux États-Unis, a mis fin à toute activité pro-nazie ouverte. L’année précédente, les éléments pro-nazis avaient eu un représentant bien plus présentable, le célèbre aviateur Charles Lindbergh, qui dirigeait le comité «L’Amérique d’abord», comptant quelque 800.000 membres. Kuhn a été condamné plus tard pour avoir été un agent étranger non enregistré et a été expulsé en 1945.

Les points forts de «Ville des Nazis» commencent par le sujet même, le documentaire rappelant l’importance du Bund germano-américain et le fait que «cela peut arriver ici», comme le célèbre roman de Sinclair Lewis (It Can’t Happen Here) l’indique par son titre ironique. Le Bund a reconnu la nécessité d’envelopper son programme dans le langage du patriotisme américain. «Le fascisme étoilé», c’est ainsi que le décrit l’un des auteurs du documentaire de la chaîne PBS. Une autre historienne explique, à juste titre, que le fascisme se caractérise avant tout par l’ultra-nationalisme. «Il n’existe pas de fascisme étranger», note-t-elle.

Par ailleurs, comme l’indique l’épisode d’American Experience, le fascisme en Europe, bien que caractérisé par un antisémitisme virulent, notamment en Allemagne, a surtout été déclenché par une réaction à la Révolution russe de 1917. Dans des termes peu usités aujourd’hui, le film souligne l’importance de l’anticommunisme dans l’idéologie fasciste.

Défilé du Bund germano-américain à New York dans la 86e rue, 30 octobre 1937.

Il est donc significatif que lorsque Franklin D. Roosevelt a demandé une enquête sur le Bund germano-américain, le rapport de 1.000 pages qui en a résulté n’a abouti à rien. J. Edgar Hoover, le notoire directeur du FBI pendant 48 ans jusqu’à sa mort en 1972, «n’était pas très intéressé» par le sujet, explique l’émission, «car il était un anti-communiste enragé».

Néanmoins, les faiblesses de «Ville des Nazis» l’emportent largement sur ses points forts. Avant tout, il n’explique pas la source du fascisme, sa base de classe, à savoir que des sections puissantes de la classe dirigeante se tournent vers le fascisme lorsqu’elles sont confrontées à la menace d’une classe ouvrière révolutionnaire.

La lutte des classes est minimisée, voire absente de ce film. Il n’y a aucune mention des énormes luttes de la classe ouvrière qui ont eu lieu précisément à cette époque. Les grandes grèves sur le tas qui ont conduit à l’organisation de masse des syndicats de la CIO ont commencé dans les usines automobiles de Flint, au Michigan, le 30 décembre 1936.

Dans «Ville des nazis», le rapport réel des forces de classe est complètement déformé. Alors que le film parle d’un «large soutien populaire au racisme», Henry Ford est présenté comme une figure pro-nazie unique dans les cercles dirigeants. En réalité, ouvertement ou en coulisses, de nombreux autres titans de l’industrie et leurs représentants politiques ont regardé avec satisfaction les régimes de Mussolini et d’Hitler. Hoover, du FBI, n’a pas non plus agi seul. Il n’aurait pas pu rester à son poste sans le soutien tacite ou actif de l’élite dirigeante. Le gouvernement n’était pas, et n’est toujours pas, une sorte de spectateur neutre. La source du racisme et d’autres formes de réaction est le système capitaliste même, qui agit pour développer des couches petites-bourgeoises désespérées et désorientées, pour les utiliser contre la classe ouvrière et la menace socialiste.

«Ville des nazis» présente la question comme celle d’une «démocratie» sans classe en lutte contre la dictature fasciste. Roosevelt et Dewey (si ce n’est Hoover) sont perçus comme s’opposant à la menace du Bund.

Manifestation contre un rassemblement nazi au Madison Square Garden, le 20 février 1939

L’illustration la plus flagrante de cette vision libérale petite-bourgeoise se trouve dans la description du rassemblement bien connu organisé par le Bund au Madison Square Garden de New York en février 1939. Les nazis avaient réuni plus de 20.000 partisans et sympathisants, mais 50.000 travailleurs avaient manifesté à l’extérieur. L’émission ne mentionne que brièvement cette manifestation de masse, au cours de laquelle la police de New York à attaqué sans pitié les manifestants, dont beaucoup, mais pas tous, étaient des travailleurs juifs furieux de cette provocation nazie à New York.

De plus, le film oublie de préciser que ces milliers de travailleurs avaient été mobilisés par une campagne massive du Socialist Workers Party, le mouvement trotskyste américain à l’époque. Les staliniens du Parti communiste, alors au sommet de leur influence et comptant des dizaines de milliers de membres et de sympathisants dans la région de New York, s’étaient opposés à la mobilisation de la classe ouvrière contre les nazis, tout comme le Parti socialiste de Norman Thomas. Les trotskystes ont démontré le rôle crucial de la direction dans cet épisode. Le programme de PBS l’occulte.

Bien que le nom de Trump ne soit pas mentionné dans cet examen de l’histoire du 20e siècle, les leçons d’il y a 90 ans sont évidemment cruciales aujourd’hui. L’élection de 2024, qui aura lieu dans un peu plus de 9 mois, s’annonce comme un match retour entre le belliciste et partisan du génocide Joe Biden et le démagogue fasciste Trump. Le capitalisme américain ne dispose pas aujourd’hui des ressources qui ont permis à Roosevelt de présenter il y a 85 ans un programme réformiste, aussi limité soit-il. Le Parti démocrate a été démasqué comme le complice du fascisme, et non comme son ennemi. La lutte contre le fascisme ne peut commencer que par une rupture d’avec les deux partis capitalistes, qui partagent fondamentalement le même programme quand il s’agit de la classe ouvrière: la guerre, l’austérité et la dictature.

«Ville des nazis aux États Unis» est actuellement disponible sur le site de PBS. Bien qu’il contienne des témoignages historiques précieux, il doit être accompagné d’un avertissement: il faut garder à l’esprit ses lacunes et ses déformations.

(Article paru d’abord en anglais le 30 janvier 2024)

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