Londres : La « Marche nationale contre l’antisémitisme » visait à légitimer le génocide des Palestiniens par Israël

La « Marche nationale contre l’antisémitisme » de dimanche dernier a réuni des dizaines de milliers de personnes, bien moins que les 60.000 annoncés initialement par les organisateurs et le chiffre exagéré ultérieur de 100.000 annoncé par certains journaux.

Malgré la prétention passagère d’un souci pour la paix et une opposition commune à l’antisémitisme et à l’islamophobie, ainsi qu’à la mort de Juifs et de Palestiniens, le caractère réel de l’événement a été clairement mis en évidence par ses organisateurs, ses principaux intervenants, ses participants les plus éminents et la forte présence de drapeaux israéliens et britanniques.

Manifestants lors de la « Marche nationale contre l’antisémitisme » à Londres, le 26 novembre 2023 [AP Photo/Alberto Pezzali]

Outre les drapeaux israéliens, les manifestants portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Pour Israël, contre l’antisémitisme ». « Ramenez-les chez eux », slogan faisant référence aux otages pris par le Hamas et utilisé pour légitimer le massacre d’environ 20.000 Palestiniens par l’armée israélienne, était celui le plus en vue.

Surtout, la marche a été organisée pour soutenir le mensonge politique grotesque selon lequel l’opposition au génocide israélien à Gaza équivaut à de la haine anti-juive. Cet amalgame visait le mouvement massif des travailleurs et des jeunes contre la campagne militaire israélienne de meurtres de masse et de nettoyage ethnique ; les « coupables » étant majoritairement constitués de la communauté musulmane britannique et d’individus et de groupes de gauche.

Ce fut clairement exprimé par Gideon Falter, principal organisateur de la marche et chef de la Campagne contre l’antisémitisme. Il a déclaré à la foule, faisant référence aux manifestations contre le génocide : « Semaine après semaine, le centre de Londres est devenu une zone interdite pour les Juifs. »

« Nous assistons à la criminalité généralisée, y compris la glorification du terrorisme, le soutien aux organisations terroristes interdites telles que le Hamas et l’incitation à la haine raciale ou religieuse contre les Juifs. La triste vérité est que les Juifs ne se sentent pas en sécurité dans notre capitale. »

Appelant à la répression étatique, il a poursuivi : « La Grande-Bretagne est à un point de basculement. Si les autorités estiment que nos rues et notre pays doivent être sûrs pour tous les Britanniques, y compris les Juifs britanniques, elles doivent agir contre la haine avant qu’il ne soit trop tard. »

En fait, les plus grandes acclamations lors des manifestations contre la guerre d’Israël – qui mobilisent des centaines de milliers de personnes semaine après semaine – sont régulièrement réservées aux groupes et aux individus juifs qui prennent position sous le mot d’ordre, « Plus jamais cela, signifie plus jamais pour personne ». Beaucoup de ces Juifs de gauche et anti-guerre ont été dénoncés dans les termes les plus grossiers par les sionistes, encouragés par des gens comme Falter.

La Campagne contre l’antisémitisme a été le fer de lance de la chasse aux sorcières contre les membres travaillistes du Labour sur de fausses accusations d’« antisémitisme de gauche » pendant le mandat de Jeremy Corbyn à la tête du parti – une campagne qu’il a refusé de combattre. Sur fond d’un torrent d’insultes et de calomnies, les membres de Jewish Voice for Labour furent injuriés avec des termes tels que « kapo », un surveillant juif nommé par les nazis dans les camps de concentration.

Cela s’est répété lors de la marche de dimanche dernier, avec des manifestants scandant « Judenrat » (des conseils juifs nommés par les nazis supervisant les ghettos) à l’intention de contre-manifestants juifs orthodoxes brandissant des drapeaux palestiniens et des pancartes indiquant : « Israël est responsable de 75 ans d’effusion de sang tragique ».

D’autres personnalités dans la chasse aux sorcières contre « l’antisémitisme de gauche » ont pris la parole, tel le grand rabbin Ephraim Mirvis et la personnalité de la télévision Rachel Riley. Elle a déclaré à la foule : « L’ignorance suffit pour pouvoir propager une propagande anti-juive nazie ou soviétique, adaptée aux discours d’aujourd’hui, mais il vous faut une connaissance très approfondie pour la combattre. L’antisémite a totalement l’avantage. Nous devons corriger ce déséquilibre. »

« Personne ne devrait avoir à risquer sa sécurité ou sa carrière en s’exprimant contre l’antisémitisme en Grande-Bretagne. J’appelle la population, les médias et les hommes politiques de tous bords à se tenir à nos côtés et à s’élever plus fort contre l’antisémitisme. »

C’est la réalité à l’envers. Parmi la foule se trouvaient des journalistes de la BBC qui ont affirmé qu’ils étaient présents au mépris des instructions de la chaîne de télévision de ne pas le faire, certains d’entre eux brandissant des pancartes indiquant « la BBC bâillonne les journalistes » et « Non à la BBC ». Il convient de noter que si ce genre de comportement avait été constaté lors d’une manifestation en défense des Palestiniens, les responsables auraient été limogés d’office.

Dans leur entourage figurait aussi le transfuge conservateur et désormais député travailliste Christian Wakeford, ainsi que des députés et ministres du parti conservateur au pouvoir, Tom Tugendhat, Robert Halfon et Robert Jenrick. Tous sont de fervents partisans du massacre israélien à Gaza.

Les médias ont accordé une place de choix à l’ancien Premier ministre en disgrâce, responsable de la mort de masse pendant la pandémie de COVID, Boris Johnson.

Ce raciste notoire est tristement célèbre pour avoir traité des bébés noirs de «négrillons», des touristes de « manouches » et les femmes musulmanes en burqa de « boîtes aux lettres ». En 2004, il a écrit un roman, « Soixante-douze vierges », sur une attaque terroriste fictive dans laquelle un personnage palestinien de premier plan se révèle être un terroriste et dans lequel le soutien de la Russie aux États-Unis serait le résultat d’une « sorte de bidouille des oligarques qui dirigeaient les chaînes de télévision (et qui étaient pour la plupart, comme certains n’ont pas tardé à le souligner, d’origine juive) […] »

Face à un événement aussi ouvertement de droite, les organisateurs ont tenté de donner à la marche un vernis progressiste en faisant une comparaison obscène avec la bataille de Cable Street de 1936.

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Le 4 octobre de la même année, le leader fasciste britannique Oswald Moseley organisa une marche provocatrice de son Union britannique des fascistes (BUF) dans un quartier de l’East End de Londres à forte population juive. Protégés par la police, ils ont été stoppés par une mobilisation massive de plus de 100.000 travailleurs des quartiers populaires et organisations de gauche.

Là où Cable Street vit de larges couches de la classe ouvrière se mobiliser pour défendre les Juifs et d’autres minorités contre les admirateurs d’extrême droite d’Adolf Hitler, dimanche a vu un noyau sioniste s’unir aux hommes politiques et aux responsables de médias de droite pour défendre un État menant une guerre génocidaire. La référence la plus exaspérante à 1936 est venue dans l’article élogieux en première page consacré à la manifestation dans le Daily Mail, un journal qui, deux ans avant Cable Street, publiait le titre « Hourra pour les chemises noires » et conseillait aux « jeunes hommes » comment ils pourraient rejoindre le BUF de Moseley.

Le véritable caractère politique de la marche a été incarné par le leader fasciste anglais Tommy Robinson qui était déterminé à y assister et à montrer son soutien au massacre de musulmans au nom de l’autodéfense nationale. Les organisateurs de la marche l’avaient empêché d’y participer, car conscients de l’impression que cela donnerait au public, et avaient exigé que la police lui barre la route. Robinson a été arrêté après son refus de partir.

Une telle association ouverte avec l’extrême droite n’a pas suscité de résistance de la part des organisations sionistes ailleurs. Une « marche contre l’antisémitisme » similaire en France le 12 novembre a réuni Marine Le Pen, chef du Rassemblement national, anciennement le Front national, fondé par son père et négationniste condamné Jean-Marie. Lundi, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a accueilli en Israël Elon Musk, promoteur de la théorie antisémite du Grand Remplacement.

Ces événements et ceux de dimanche confirment l’analyse présentée par le président du World Socialist Web Site, David North, lors de sa récente conférence à Londres, sur l’association inhérente du sionisme avec les idées nationalistes et de plus en plus d’extrême droite :

Le sionisme, né du colonialisme impérialiste et ennemi du socialisme et d’une conception scientifique de l’histoire et de la société, s’est nécessairement appuyé sur les éléments les plus réactionnaires de la politique et de l’idéologie nationalistes.

À une époque où la force motrice du progrès social était devenue la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme et l’État national bourgeois, le sionisme a fondé son programme sur la glorification du principe national en tant que fondement essentiel de l’existence juive. Toutes les conceptions de l’histoire, issues des Lumières et des mouvements socialistes ultérieurs, qui sapaient le principe de l’exclusivité nationale – en particulier celles qui, sur la base de la science et de la raison, considéraient l’identité nationale comme un phénomène historiquement limité et transitoire, lié à une étape spécifique du développement des forces productives et de leur relation avec le marché mondial – étaient ainsi dénoncées comme incompatibles avec le sionisme, non seulement en tant que programme politique, mais aussi en tant qu’expression unique de l’identité juive. Nier la légitimité du sionisme, c’est donc nier le droit des Juifs à l’existence.

De là découle l’affirmation insidieuse selon laquelle l’opposition au sionisme, même si l’opposant est juif, est antisémite.

L’insistance profondément néfaste des sionistes selon laquelle le sort du peuple juif est lié à l’État d’Israël et nécessite un soutien pour ses crimes contre les Palestiniens représente le principal danger d’une recrudescence de l’antisémitisme. Les travailleurs et les jeunes juifs qui prennent position contre le génocide de Gaza indiquent la seule voie à suivre : une lutte politique des travailleurs de toutes confessions et de toutes origines ethniques contre le nationalisme et le système d’État-nation, pour une révolution socialiste mondiale.

(Article paru en anglais le 28 novembre)

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