Cinq ans de #MeToo: Le New York Times se plaint que les dégâts n’ont pas été suffisants

Lundi [24 octobre], le New York Times a publié un article du correspondant d’Hollywood Brooks Barnes («After #MeToo Reckoning, a Fear Hollywood Is Regressing» [«Après la reddition de compte de #MeToo, il y a une crainte qu’Hollywood ne soit en train de régresser»]) déplorant le peu de dégâts que la campagne contre les inconduites sexuelles a faits – et appelant à en faire plus.

Cinq années de chasse aux sorcières en matière d’inconduite sexuelle ont détruit des dizaines de vies et de carrières dans le cinéma, la musique et les médias. La campagne a affaibli les droits démocratiques, notamment la présomption d’innocence, et créé une atmosphère où l’intimidation et l’autocensure règnent en maître.

Une poignée de femmes et d’Afro-Américains déjà privilégiés ont sans doute amélioré leur situation financière en accédant à une partie du butin de l’industrie cinématographique. Entre-temps, en raison de processus économiques fortement accélérés par la pandémie, la qualité générale des films hollywoodiens est tombée à un niveau encore plus bas. Le phénomène du «blockbuster» prévaut comme jamais auparavant. Les voix «indépendantes» qui existaient ont été marginalisées plus que jamais.

La campagne #MeToo, «bouleversante» aux yeux de Barnes, n’a rien fait pour la grande majorité des femmes. Les inégalités de revenus entre les femmes, qui ont explosé depuis les années 1970, continuent de se creuser, un processus qui ne fera que s’intensifier avec la montée en flèche de l’inflation et les attaques contre le droit à l’avortement.

Ce qui aiguise l’appétit de Barnes et du Times, c’est le nouveau procès à Los Angeles du producteur Harvey Weinstein, la sortie prochaine de She Said, sur les origines de la campagne #MeToo en 2017, et les «fortes ventes de billets» pour le film The Woman King, une falsification absurde de l’histoire dans l’intérêt de la politique identitaire.

L’article de Barnes, sans doute destiné en partie à renforcer le soutien au sein de la base du Parti démocrate dans la classe moyenne supérieure à la veille de l’élection de novembre, s’inquiète des processus qui pourraient bloquer l’enrichissement sans entrave de ces couches auxquelles le Times parle et pour lesquelles il parle.

L’égoïsme de cette foule est illustré par l’approche de Barnes. «De nouveaux problèmes...sont devenus une priorité plus importante» que «la diversité, l’équité et l’inclusion», se plaint-il. Ces problèmes incluent «la réduction généralisée des coûts alors que le box-office continue à être en difficulté». Il y a toujours le danger que les personnes nouvellement «incluses » se retrouvent exclues à mesure que les conditions économiques se détériorent (à cet égard, Barnes cite un cadre du cinéma, «un homme blanc», qui a observé que «pendant trois ans, nous n’avons embauché que des femmes et des personnes de couleur»).

Le danger de la guerre, la menace du fascisme, les attaques systématiques contre les droits démocratiques et le niveau de vie – rien de tout cela n’entre dans les calculs de Barnes. Cependant, des «femmes anonymes qui avaient été embauchées pour des postes importants et présentées comme des exemples triomphants d’une nouvelle ère ont été écartées, tandis que certains des hommes qui avaient été mis sur la touche par des accusations de mauvaise conduite travaillent à nouveau».

L’acteur Johnny Depp témoigne devant la cour de circuit du comté de Fairfax, à Fairfax (Virginie), le jeudi 21 avril 2022. (AP Photo/Jim Lo Scalzo/Pool Photo via AP) [AP Photo/Jim Lo Scalzo/Pool Photo via AP]

Développant ce dernier thème, Barnes déplore ensuite qu’il n’y ait «plus de bannissement généralisé pour les hommes qui ont été accusés de mauvaise conduite». Quel commentaire répugnant, digne de l’époque des purges anticommunistes des années 1950! Les individus qui sont simplement accusés ne sont plus «bannis» sans autre forme de procès. En fait, les jurys des récentes affaires judiciaires impliquant les acteurs Johnny Depp et Kevin Spacey [article en anglais] se sont montrés très soucieux des faits, et non des «allégations» incendiaires et généralement non fondées auxquelles se livrent le Times et le reste des médias américains.

Le correspondant du Times démontre son mécontentement lorsqu’il fait référence aux circonstances entourant Depp, qui «a largement gagné un procès dans lequel son ancienne épouse, l’actrice Amber Heard, l’a accusé de violences sexuelles et domestiques.» Oui, et Depp a accusé Heard d’abus, et le jury l’a cru. Maintenant, écrit Barnes, Depp est «en train de réaliser un film».

La «carrière d’acteur de James Franco a implosé en 2018 au milieu d’allégations d’inconduite sexuelle», du genre le plus vague. Quatre ans plus tard, poursuit Barnes, «après un règlement de 2,2 millions de dollars dans lequel il n’a pas reconnu avoir commis d’acte répréhensible, il a au moins trois films de prévus.» Ni Depp ni Franco n’ont été accusés d’un quelconque crime, et encore moins condamnés. Mais les deux hommes n’ont pas été «bannis» comme il se doit.

L’article du Times prend inévitablement pour acquis que le genre et la race constituent l’axe social autour duquel tout tourne. L’idée que le cinéma hollywoodien, qui a produit Les temps modernes, Les raisins de la colère, Citizen Kane et Les meilleures années de notre vie, puisse parler des conditions et des préoccupations de la grande majorité de la population active n’est même pas envisagée.

Au lieu de cela, le cinéma «progressiste» est identifié à «des films comme Bros, la première comédie romantique gay d’un grand studio», «Easter Sunday, une comédie positionnée comme un moment décisif pour la représentation des Philippins» et «Ms. Marvel, une série Disney+ adulée par la critique sur une superhéroïne adolescente musulmane». Barnes ne s’oppose manifestement pas à la descente du cinéma de studio américain au niveau de la bande dessinée, il veut simplement que cela soit fait avec l’ornementation appropriée de la politique identitaire (et la rémunération).

Et, de toute façon, si «certains films et émissions qui mettent ouvertement en avant la diversité et l’inclusion ont eu du mal sur le marché ou n’ont pas réussi à décoller», il ne faut pas en tirer de conclusion générale – «personne ne regarde les faibles ventes de billets pour un film de Brad Pitt pour en conclure que personne ne veut voir des hommes blancs plus âgés à l’écran». Ce racialisme écœurant est omniprésent dans l’article du Times.

Barnes s’inquiète du fait que le mauvais type de film pourrait revenir à la mode, faisant remarquablement référence au fait que les studios «ont également commencé à prendre plus de risques avec le contenu», c’est-à-dire qu’ils ont osé produire des œuvres qui pourraient offenser les obsédés de la race et du genre. Il cite le drame de Netflix sur Marilyn Monroe, Blonde, «que les critiques ont qualifié d’exploiteur et de misogyne», et «une comédie musicale en direct sur les réparations liées au commerce des esclaves» de Trey Parker et Matt Stone, «les forces créatives politiquement incorrectes à l’origine de South Park et du Livre des Mormons» (en réalité, le rappeur Kendrick Lamar est également impliqué).

La censure et l’autocensure sont à l’ordre du jour. Barnes veut tuer dans l’œuf toute idée qu’une «sur-correction», comme le suggère l’une de ses personnes interrogées, se soit produite en 2017 et au-delà. Il cite avec une désapprobation évidente le commentaire d’un cadre anonyme selon lequel, au début de la campagne contre l’inconduite sexuelle, «nous vivions tous dans une peur totale...Cette peur demeure, mais elle s’est atténuée. Il y a plus de place pour le gris, plus de bénéfice du doute et un peu de réticence à l’égard de la précipitation à juger qui s’est manifestée à l’apogée de #MeToo.» Le Times est en guerre contre de telles conceptions.

Barnes et le Times présentent faussement les abus sexuels à Hollywood, le «casting couch» et les phénomènes connexes, comme le produit de la domination des «hommes blancs.»

Comme nous l’avons noté en octobre 2017 [article en anglais], «cette sorte d’extorsion de faveurs sexuelles ne fait pas simplement partie d’Hollywood, elle fait partie des affaires américaines et de la culture d’entreprise dans son ensemble, elle fait partie de la brutalité des relations sociales aux États-Unis.» C’est la réalité du capitalisme. Nous avons fait valoir que les agressions sexuelles ou la coercition étaient «largement sous-déclarées...dans toutes les innombrables situations en Amérique où les faibles se retrouvent à la merci des puissants.»

Le WSWS a également averti dès 2017 que les scandales sexuels avaient invariablement été la province de l’extrême droite. «Rien de vaguement progressiste ne sortira de tout cela», écrivions-nous [article en anglais]. «Un Code de production ressuscité, une répression de la ‘licence’ dans les films et la réalisation (qui s’accompagne toujours de la suppression des points de vue opposés), davantage de pouvoirs aux censeurs, nommés et autoproclamés – voilà ce qui risque d’émerger à l’autre bout de ce misérable processus. La domination du pouvoir et de la richesse, source des véritables abus et crimes, reste intacte.»

Cinq ans plus tard, il n’y a rien à changer à ce pronostic.

(Article paru en anglais le 27 octobre 2022)

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