L’Union européenne et la Tunisie concluent un accord honteux pour maintenir les réfugiés hors d’Europe

L’Union européenne est prête à utiliser tous les moyens pour maintenir les réfugiés hors de ses frontières. La semaine dernière, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, la Première ministre italienne d’extrême droite Giorgia Meloni et le président tunisien Kais Saied ont signé à Tunis un protocole d’accord promettant à la Tunisie une aide financière de 900 millions d’euros pour empêcher les réfugiés d’atteindre l’Europe.

Sur cette photo du vendredi 12 février 2021, des migrants et des réfugiés de différentes nationalités africaines attendent de l’aide sur un bateau en bois surchargé, tandis que des travailleurs humanitaires de l’ONG espagnole Open Arms s’approchent d’eux en mer Méditerranée, dans les eaux internationales, à 122 milles de la côte libyenne. [AP Photo/Bruno Thevenin]

Ce que cela voulait dire, l’expulsion simultanée et impitoyable dans le désert des réfugiés de la ville portuaire tunisienne de Sfax l’a montré. La coïncidence des deux événements révèle dans toute sa brutalité le vrai visage de l’UE: une face hideuse qui tolère, incite, finance et organise les atrocités racistes et inhumaines commises par des régimes autocratiques contre les réfugiés.

Au cœur du protocole d’accord il y a le resserrement des frontières de l’Europe pour tous les réfugiés. Au total, 105 millions d’euros iront rien qu’à la modernisation de la police des frontières tunisienne et à l’expulsion des réfugiés.

L'UE souhaite un partenariat pour lutter contre le trafic de migrants, a déclaré von der Leyen à l'issue de la conférence. « Nous allons également renforcer notre coordination dans les opérations de recherche et de sauvetage. Et nous avons convenu de collaborer sur la gestion des frontières, sur les retours et sur la lutte contre les causes profondes, dans le plein respect du droit international ».

Ces propos tournent en dérision les réfugiés qui sont soumis en Tunisie sur ordre de l'UE aux persécutions arbitraires, aux mauvais traitements et aux risques mortels. Alors même que von der Leyen, Rutte et Meloni serraient la main de l'autoritaire Saied, les autorités sécuritaires tunisiennes avaient déjà commencé à mettre l'accord en pratique.

Depuis des jours, des migrants originaires de pays subsahariens, mais aussi du Bangladesh, du Sri Lanka et de Syrie, sont transportés en bus hors de Sfax. Cette opération a été précédée d’une bagarre entre des jeunes de la région et des migrants, au cours de laquelle un Tunisien de 41 ans a trouvé la mort. Depuis, les réfugiés sont systématiquement persécutés, chassés de chez eux, poursuivis, battus et finalement déportés.

La police des frontières libyenne a récupéré environ 700 réfugiés près du poste-frontière de Ras Jadir. Ils avaient été exposés au soleil brûlant, sans eau ni nourriture, et étaient complètement épuisés. La police des frontières libyenne a fourni de l’eau et de la nourriture aux réfugiés, mais les a ensuite renvoyés du côté tunisien de la frontière.

Un officier de la police des frontières a déclaré au journal taz: «La Tunisie veut résoudre ses problèmes sociaux sur le dos des migrants et des pays voisins. C’est un dangereux précédent». Les réfugiés deviennent ainsi des victimes de l’UE, qui paie des régimes autocratiques pour qu’ils jouent le rôle de videurs pour l’Europe.

Les gardes-frontières libyens ont appréhendé au moins 80 autres réfugiés plus au sud, près de la ville d’Al-Assah. Deux hommes originaires du Nigeria ont déclaré que les forces de sécurité tunisiennes les avaient battus à coups de barres de fer et conduits de force en Libye.

Selon le Guardian, on a secouru environ 165 réfugiés dans l’ouest de la Tunisie, près de la frontière avec l’Algérie. Mais on n’a toujours aucune trace des 250 réfugiés abandonnés dans le désert près de Tozeur. L’organisation d’aide aux réfugiés Alarm Phone, qui était en contact avec le groupe pendant leur transport de Sfax dans le désert, craint qu’on ait détruit leurs téléphones portables et qu’on les ait abandonnés sans eau ni nourriture. Les agences d’aide indiquent qu’elles ont découvert plusieurs corps dans le désert.

«Abandonner des gens au milieu du désert sans accès aux routes, aux abris, à l’ombre, sans nourriture ni eau est une forme de violence autorisée par l’État. Cela va à l’encontre des droits humains fondamentaux», a déclaré Monica Marks, professeure assistante de politique du Moyen-Orient à l’université de New York, au programme d’information Tagesschau de la chaîne allemande ARD.

Dans une déclaration publiée sur Facebook, le président tunisien Saied a cyniquement rejeté les inquiétudes concernant les mauvais traitements et l’expulsion des réfugiés vers le désert, affirmant que «les migrants reçoivent un traitement humain… conformément aux valeurs de la Tunisie» et que les forces de sécurité tunisiennes les protègent.

La commissaire européenne chargée des affaires intérieures, Ylva Johannson, a défendu l’accord entre l’UE et la Tunisie en des termes similaires. Il est très important, a-t-elle dit, «que notre objectif principal soit toujours de sauver des vies, d’empêcher les gens de faire ces voyages qui se terminent trop souvent par la mort, c’est une priorité».

En fait, l’accord prévoit exactement le contraire. La migration est l’un des cinq piliers de l’accord. Il s’agit littéralement de «lutter contre la migration irrégulière», de renforcer le «partenariat opérationnel contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains», d’«améliorer la coordination des opérations de recherche et de sauvetage en mer», de «gérer efficacement les frontières» et de «développer un système d’identification et de retour des migrants irréguliers» de la Tunisie vers leur pays d’origine.

L’Union européenne exploite sans vergogne le fait que la Tunisie est au bord de l’effondrement économique et qu’elle a un besoin urgent d’aide financière. Mais cette aide n’est accordée que si le pays accepte de devenir le chien de garde de l’Europe, d’empêcher les réfugiés d’atteindre la Méditerranée en interceptant et renvoyant les bateaux, et en organisant l’expulsion des réfugiés qui sont arrêtés.

L’UE ne cache pas non plus que le fait que cet accord honteux pour empêcher l’arrivée de réfugiés en Europe est basé sur le chantage. La commissaire européenne pour les Affaires intérieures, Ylva Johansson, a déclaré ouvertement qu’il était «évident que la Tunisie est sous pression. À mon avis, c’est là une raison de renforcer et d’approfondir la coopération et d’accroître le soutien à la Tunisie».

Sur les 900 millions d’euros que l’UE prévoit de verser à la Tunisie, 105 millions sont destinés à la «gestion des frontières». Johansson a affirmé que cet argent transiterait principalement par des organisations internationales qui travaillent sur le terrain et aident les réfugiés, comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Elle a affirmé que l’UE n’était «pas impliquée dans le rapatriement des ressortissants de pays tiers vers leur pays d’origine». Elle ne fait que «financer le retour volontaire et la réinsertion des ressortissants de pays tiers par l’intermédiaire de l’OIM».

Mais c’est là une tentative pitoyable de l’UE de se blanchir. Officiellement, l’OIM est bien nominalement une agence des Nations unies, mais elle organisera l’expulsion des réfugiés, financée par l’UE et à sa demande. À ce jour, l’OIM n’a pas dit un mot sur les expulsions de réfugiés dans le désert du Sahara.

L'accord signé stipule également que l'UE ne financera pas seulement l'OIM, mais fournira surtout des bateaux de patrouille, des jeeps, des caméras thermiques, des équipements radar et des drones, armant ainsi massivement les gardes-frontières tunisiens.

Les conséquences de cette politique criminelle anti-réfugiés se voient très nettement dans les expulsions en Tunisie. Lauren Seibert, de l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch, a déclaré: «En finançant les forces de sécurité qui commettent des abus en matière de contrôle des migrations, l’UE se rend complice de la souffrance des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Tunisie».

Les paroles creuses sur les droits de l’homme et les valeurs démocratiques censées guider la politique étrangère de l’UE et de l’Allemagne ne valent pas le papier sur lequel on les imprime. Lundi dernier, le gouvernement allemand a déclaré son «soutien total» à l’accord. On avait l’espoir que conjointement avec la Tunisie, on repousserait l’immigration irrégulière, a déclaré Christiane Hoffmann, porte-parole adjointe du gouvernement. Le groupe parlementaire des Verts au Bundestag a légèrement critiqué l’accord, mais la ministre verte des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a également déclaré qu’elle approuvait cet accord honteux.

Le gouvernement allemand fait même pression pour obtenir un accord plus ambitieux, car la déclaration actuelle exclut la création de camps d’internement pour les réfugiés tout comme la réadmission de réfugiés non tunisiens depuis l’UE. Alors que l’accord déclare que la Tunisie n’est pas un pays qui «accepte l’installation de migrants en situation irrégulière», le délégué à l’Immigration du gouvernement allemand, Joachim Stamp, a désigné comme objectif politique prioritaire des «procédures d’asile en Afrique du Nord».

L’accord entre l’UE et la Tunisie doit également servir de modèle pour d’autres accords avec les régimes autocratiques d’Égypte et du Maroc. Des accords existent déjà avec ces deux pays, mais les mesures dissuasives prises contre les réfugiés dans ces pays et en particulier leur déportation, doivent encore être renforcées. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, qui gouverne avec une brutalité extrême, a déjà reçu 80 millions d’euros de l’UE l’an dernier pour améliorer les défenses contre les migrants grâce auxquelles il empêche les réfugiés du Soudan d’entrer en Europe et les bateaux de réfugiés de quitter l'Égypte.

On peut voir les conséquences de ces accords au Niger et en Algérie. En 2015, le Niger a criminalisé l'hébergement et le transport des réfugiés en échange d’une aide européenne au développement. L'Allemagne a équipé l'armée nigérienne de véhicules et d'équipements radar à hauteur d’un milliard d'euros de fonds européens. L'agence européenne des frontières Frontex a envoyé des officiers de liaison au Niger.

Depuis, les passeurs, et avec eux les réfugiés, ont nécessairement emprunté des itinéraires plus dangereux, à l’écart des routes principales, entraînant une augmentation considérable du nombre de morts parmi les réfugiés. Il y a quatre ans, Albert Chaibou, journaliste nigérien et fondateur d’une ligne téléphonique d’urgence pour migrants, s’était déjà plaint: «Notre pays a dégénéré en cimetière au service de l’Europe».

Les réfugiés appréhendés sont placés dans des camps gérés par l’OIM, mais financés par l’UE. Il n’y a pas assez d’eau ni assez de nourriture, l’OIM ne s’intéresse qu’à l’expulsion de ces personnes désespérées vers leur pays d’origine, comme on le prévoit à présent en Tunisie. «Nous sommes traités comme du bétail», criait récemment un réfugié désespéré à des journalistes de l’agence de presse AFP.

Beaucoup de réfugiés bloqués au Niger ont été chassés d’Algérie et abandonnés dans le Sahara, dans la région frontalière avec le Niger. On ne sait pas combien de réfugiés sont déjà morts de soif et de faim durant leur fuite dans le Sahara, mais les organisations humanitaires craignent que cela ne dépasse le nombre de ceux noyés en Méditerranée. Selon cette estimation, bien plus de 20.000 réfugiés seraient morts en Afrique du Nord depuis 2016, simplement parce qu’ils fuyaient la guerre, la guerre civile et les difficultés économiques et rêvaient d’une vie décente en Europe.

En concluant des accords honteux et extorsionnaires avec les régimes autocratiques d’Afrique du Nord, l’UE se rend complice de la persécution d’État et du déplacement forcé de réfugiés, de même que du meurtre de milliers de gens.

(Article paru d’abord en anglais le 28 juillet 2023)

Loading