Les jeunes et les travailleurs chinois confrontés à une crise de l’emploi due aux sanctions américaines

Le taux élevé du chômage des jeunes a de nouveau suscité beaucoup d’attention et un regain de mécontentement en Chine.

Un livreur décharge un réfrigérateur pour son client dans une rue de Pékin, jeudi  27  avril 2023. [AP Photo/Andy Wong]

Après l’abandon complet par le gouvernement chinois de la politique du «zéro COVID» et l’énorme catastrophe sociale qu’elle a provoquée, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 4,5  pour cent en glissement annuel au premier trimestre  2023, selon des informations officielles. Cela n’a toutefois pas permis de résoudre le problème du chômage.

Selon les statistiques du gouvernement, le taux de chômage urbain est de 5,3  pour cent, tandis que le taux de chômage de la population urbaine âgée de 16 à 24  ans est passé à 19,6  pour cent. Soit une augmentation de 3  points de pourcentage par rapport au trimestre de décembre à mars.

Ce taux est le deuxième plus important après les 19,9  pour cent enregistrés en juillet 2022. Les rapports officiels admettent également que le taux de chômage des travailleurs migrants reste élevé.

Cela signifie qu’il y a environ 30  millions de jeunes sans emploi avant même la saison annuelle de remise des diplômes en juin et juillet. Les médias estiment que le nombre de diplômés universitaires devrait atteindre 11,58  millions en 2023, contre 10,76  millions en 2022.

De plus en plus de jeunes envisagent d’obtenir des diplômes de troisième cycle, tels que des doctorats, afin d’échapper temporairement à la pression du chômage. Mais là aussi, la situation est désastreuse. Le nombre de candidats aux examens de troisième cycle en Chine a continué d’augmenter, passant de 3,77  millions à 4,74  millions, et on estime que moins d’un quart seront admis.

Cette situation suscite un mécontentement manifeste sur les réseaux sociaux. Un utilisateur de Weibo commente ainsi: «Quelle autre issue y a-t-il pour les jeunes de nos jours? Indépendamment de l’exhaustivité de ces données, il est vrai que beaucoup de jeunes ne trouvent pas d’emploi, et certaines statistiques disent que plus d’un million de diplômés travaillent déjà comme livreurs de nourriture et ont d’autres emplois temporaires».

Un autre utilisateur note: «Le nombre de candidats aux examens de la fonction publique a également explosé ces dernières années, atteignant des niveaux inimaginables auparavant. Comment se fait-il que [la nouvelle de Lu Xun]“Kong Yiji” fasse à nouveau l’objet d’une attention particulière? Parce que les problèmes de la société sont devenus de plus en plus graves pour les jeunes et les étudiants».

Cette année, le mème connu sous le nom de «littérature Kong Yiji» est apparu sur plusieurs grandes communautés Internet, les diplômés universitaires semblant se moquer d’eux-mêmes. Kong Yiji est une célèbre image littéraire créée par l’écrivain chinois du XXe  siècle Lu Xun dans ses nouvelles. Celles-ci mettent en scène un intellectuel traditionnel humilié, privé de la possibilité de gagner sa vie par le système social rigide et son éducation confucéenne.

Selon l’interprétation de Lu Xun, Kong Yiji est sans aucun doute une misère d’homme, représentant la situation critique d’un intellectuel féodal qui n’arrive pas à trouver sa place dans la société. Il représente «l’indifférence de la société à l’égard des gens qui souffrent».

Le même Internet est basé sur une parodie d’un passage bien connu des histoires de Kong Yiji. Dans cette parodie, des jeunes suggèrent que leur situation correspond d’une certaine manière à la tragédie de Kong Yiji. La popularité de ce mème s’accompagne d’un mécontentement à l’égard du chômage de masse dans la société.

En réponse à ce mécontentement, le Comité central de la Ligue de la jeunesse communiste a publié sur son compte de réseaux sociaux un article critiquant les «jeunes négatifs». L’article accusait les jeunes diplômés de refuser le travail manuel et les exhortait à «enlever leurs costumes et à entrer dans les usines et les fermes».

Ces propos ont suscité un tollé sur l'internet. Les critiques ont accusé les responsables d'hypocrisie, d'ignorer les énormes inégalités sociales et le manque de sécurité des travailleurs manuels.

Deux commentaires ont reçu des milliers de «likes». L’un d’eux posait une question rhétorique: «L’auteur de cet article serait-il prêt à abandonner son emploi actuel pour devenir éboueur ou ouvrier d’usine»?

Un autre commentaire demandait: «Avez-vous pensé à “Xiangzi” lorsque vous avez suggéré à Kong Yiji d’enlever son costume»? Xiangzi est un personnage littéraire créé par un autre écrivain, Lao She, pour raconter l’histoire d’un ouvrier mentalement anéanti.

Comme les responsables chinois doivent l’admettre, les pressions structurelles qui pèsent sur la situation économique du pays apparaissent au grand jour. Le chômage des jeunes n’est qu’une facette des tensions sociales actuelles.

Le chômage des travailleurs de l’industrie, qui implique un grand nombre de migrants internes, est également une préoccupation croissante. Les interdictions technologiques imposées par les États-Unis ont conduit les entreprises à se délocaliser hors du pays, et les propriétaires d’usines suppriment des emplois et réduisent les salaires d’un tiers, selon les médias.

L’information récente selon laquelle Foxconn, qui assemble les produits Apple, transfère une partie de sa production hors de Chine a suscité un débat. Si, Foxconn n’a pas reconnu officiellement cette histoire, l’état actuel de ses usines dans un certain nombre de lieux a suscité des inquiétudes.

L’usine Foxconn de Zhengzhou, le plus grand fournisseur d’Apple à l’étranger, a considérablement réduit son personnel alors qu’Apple modifie sa chaîne industrielle. Selon un rapport de Yicai, la rue piétonne commerciale d’un kilomètre de long qui desservait auparavant principalement la zone de l’usine Foxconn est vide, quasiment désertée. Presque tous les magasins situés de part et d’autre de cette rue sont fermés, en cessation d’activité, certains se contentant d’afficher des informations sur les locations et les transferts.

Un ouvrier qui dit avoir travaillé à Foxconn pendant 10  ans a déclaré dans une interview qu’au plus fort de l’activité de Foxconn, près de 100.000  personnes habitaient dans ses environs. Des salariés de Foxconn ont déclaré que ceux y travaillant encore était bien moins nombreux que l’an dernier, sans parler des plus de 300.000  employés au plus fort de son activité. Selon l’un d’eux «le nombre de travailleurs est aujourd’hui inférieur à la moitié de ce qu’il était auparavant».

Selon un article du South China Morning Post, Foxconn a réduit les salaires des travailleurs des chaînes de production de ses principales usines. Le salaire horaire des ouvriers des chaînes de montage de l’usine de Shenzhen a été ramené à 19 ou 20  renminbis chinois (environ 2,75  dollars), contre 22 à 26  renminbis chinois à la même époque l’année dernière.

En avril dernier, Foxconn Zhengzhou offrait une subvention de 6.500  renminbis aux travailleurs nouvellement recrutés ; la dernière offre d’emploi pour l’usine Foxconn de Zhengzhou début avril de cette année montrait que celle-ci avait été ramenée à 2.500  renminbis.

La plupart des usines et entreprises environnantes ont également réduit leurs salaires suite aux baisses de salaires de Foxconn. Un agent syndical a déclaré: «Par rapport à l’année dernière, les salaires sont tous très bas cette année. De nombreuses usines payaient 20 à 30  renminbis l’heure l’année dernière, et cette année, ils sont tous tombés à 17 ou 18  renminbis».

Selon Bloomberg et d’autres médias, Foxconn investira 700  millions de dollars américains en Inde pour poursuivre l’expansion de ses usines, ce qui devrait créer plus de 100.000  emplois dans ce pays. Cela correspond certainement aux préférences d’Apple, de Wall Street, de l’administration Biden et de l’impérialisme américain dans son ensemble.

The Economist a rapporté qu'une douzaine de pays et de régions, y compris Taïwan, se rassembleront pour former ce que l'on appelle l'Altasia (Alternative Asian supply chain), une chaîne d'approvisionnement destinée à remplacer la production chinoise.

Le régime du président Xi Jinping fait face à une explosion sociale potentielle dans une classe ouvrière chinoise forte de 400 millions de travailleurs, dû au sabrage des emplois et des salaires.

Cette pression ne fera que s’intensifier à mesure que le gouvernement Biden accentuera son offensive militaire et économique contre la Chine. La semaine dernière, Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, a insisté dans un discours sur les relations entre États-Unis et Chine, pour dire que les considérations liées à la «sécurité nationale» des États-Unis devaient prévaloir. Sous ce prétexte, Washington a imposé une série de sanctions visant à paralyser le développement de la haute technologie en Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 28 avril 2023)

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