La transcription de l’audience dans l’affaire Lehman contre UAW détaille les arguments en faveur d’un report de la date limite dans les élections de l’UAW

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Le dépouillement des bulletins de vote doit commencer le mardi 29 novembre dans les premières élections directes de la direction de l’United Auto Workers (UAW). Le dépouillement se poursuit malgré les graves préoccupations soulevées par les travailleurs quant à la manière dont l’appareil de l’UAW et un contrôleur nommé par le tribunal ont mené l’élection.

La semaine dernière, un juge fédéral a rejeté une action en justice qui demandait une prolongation de 30 jours des délais électoraux et des mesures qui visent à informer systématiquement les membres de l’UAW de la tenue d’élections nationales. Will Lehman, un travailleur de la base de Mack Trucks qui se présente à la présidence de l’UAW a tenté une action en justice: Lehman contre l’UAW.

Les allégations de l’action selon lesquelles l’UAW n’a pas correctement informé les travailleurs des élections sont étayées par le taux de participation extrêmement bas: à peine 10 pour cent des 980.000 membres actifs et retraités de l’UAW ont fait parvenir un bulletin de vote. À 17h, heure de l’Est, le 28 novembre, date limite de réception des bulletins de vote, le décompte fait par le contrôleur ne comptait que 106.790 votes exprimés.

Une transcription de l’audience du 22 novembre, fournie au WSWS par Lehman, met en lumière les arguments en faveur de l’extension des délais d’élection ainsi que l’indifférence et même l’hostilité de l’appareil de l’UAW et du contrôleur nommé par le tribunal à l’égard du droit démocratique des travailleurs à participer à une élection équitable.

Lors de l’audience, l’avocat de Lehman, Eric Lee, a réfuté les affirmations de l’UAW et du contrôleur selon lesquelles Lehman n’avait pas «qualité» pour intenter une action en justice en vertu du «Titre 1» de la loi sur les rapports et la divulgation en matière de gestion du travail, puisqu’il avait personnellement reçu un bulletin de vote et avait été informé de l’élection, et qu’il n’avait donc prétendument subi aucun préjudice.

Lee a expliqué que Lehman, comme les autres membres de l’UAW, «a un droit de vote significatif. L’UAW et le contrôleur lui refusent ce droit de vote significatif.»

En réponse à une question du juge David Lawson, Lee a poursuivi: «Malgré le fait qu’il ait reçu un bulletin de vote et qu’il ait pu voter, la loi de ce circuit et celle de la Cour suprême stipulent que ce droit doit être significatif». Le simple fait que Lehman lui-même ait reçu un bulletin de vote ne signifie donc pas que l’UAW et le contrôleur ont mené l’élection de manière équitable.

Interrogé par le juge Lawson sur la question de savoir si le procès ne devrait pas «d’abord trouver sa voie au ministère du Travail», comme l’ont affirmé l’UAW et le contrôleur, Lee a répondu: «Pas dans des conditions où la réparation demandée par le plaignant est raisonnable. Ici, tout ce que M. Lehman demande, c’est un délai de 30 jours. Il demande que des mesures raisonnables soient prises pour fournir des bulletins de vote».

Plus tard, Lee a repris les arguments de la bureaucratie de l’UAW selon lesquels le faible taux de participation n’est que le reflet de l’«apathie» des travailleurs, en déclarant: «Une élection n’a pas l’aura de la légitimité si seulement dix pour cent des membres ont voté. La raison pour laquelle les membres ne votent pas n’est pas qu’ils s’en fichent. C’est parce qu’ils ne savent pas». En guise de preuve, Lee a cité les nombreuses déclarations de travailleurs incluses dans le procès, y compris quatre déclarations sous serment et signées qui détaillent que l’UAW n’a informé ni eux ni d’autres travailleurs de l’élection.

Peu après, le juge, se référant à la déclaration intéressée de l’UAW et du contrôleur sur la manière dont ils avaient informé les membres de l’UAW des élections, a posé à Lee la question suivante: «Que voulez-vous qu’ils fassent de plus?»

Répondant longuement, Lee a dit:

Un certain nombre de mesures très raisonnables existent. Ils pourraient, par exemple, distribuer des bulletins de vote dans les locaux des syndicats locaux. Ils pourraient distribuer des bulletins de vote sur les lieux de travail, pendant les pauses déjeuner, lors des changements d’équipe. Ils pourraient prendre un certain nombre de mesures qui, en l’espace de 30 jours […] après tout, il s’agit d’une organisation qui possède 1,5 ou 1,6 milliard de dollars d’actifs. Elle est capable de prélever des cotisations sur l’ensemble de ses membres actifs sur une base mensuelle sans problème. Et donc nous pensons – M. Lehman pense très fortement que la raison pour laquelle les syndicats locaux ne mettent pas à jour leurs informations…

Et, oui, dans la réponse du contrôleur et dans la réponse de l’UAW, ils formulent leur langage sur les mesures prises pour fournir un préavis de manière très intéressante. Ils ne disent pas qu’ils peuvent confirmer que les syndicats locaux prennent effectivement des mesures en fonction des demandes qu’ils font. Et le contrôleur a essentiellement délégué aux sections locales, et ils essaient d’une certaine manière — et les défendeurs de l’UAW font la même chose — de rejeter la faute sur les sections locales et de dire, eh bien, nous ne pouvons pas les aider à mettre à jour leur liste d’électeurs, nous ne pouvons rien faire contre le fait que seulement dix pour cent des membres de l’UAW ont une adresse courriel connue afin que nous puissions communiquer avec eux.

Mais les sections locales de l’UAW sont l’UAW. Ils sont les défendeurs. Et le contrôleur a l’obligation, en vertu des règles et du décret de consentement, de prendre des mesures au-delà des demandes amicales à des individus qui ont violé les lois fédérales au cours de cette élection, qu’ils ont violé les règles de l’élection.

De manière significative, Lee a cité des déclarations du président sortant de l’UAW, Ray Curry, selon lesquelles un taux de participation de 14 voire 20 pour cent serait insuffisant pour décider de «l’avenir de notre grand syndicat»:

Et, en fait, le président en exercice de l’UAW, dans la soumission de l’UAW, je crois que c’est à l’annexe 1, pièce jointe 2, le président actuel de l’UAW a déclaré dans le Detroit News, «Le droit de vote n’a de sens que si les bulletins de vote parviennent aux membres». Et il a ajouté: «Si le taux de participation est de 14 pour cent, nous devons faire mieux. Quel que soit le candidat qu’un membre soutient, nous pouvons tous convenir que l’avenir de notre grand syndicat est trop important pour que seulement 20 pour cent de nos membres en décident».

Donc je ne peux pas trouver une raison pour laquelle le défendeur UAW s’oppose à cela maintenant. Nous sommes à la moitié des 20 pour cent. Et c’est ce que le président du syndicat a dit, le double ne serait même pas suffisant pour mener une élection significative.

Tout ceci se déroule, comme la cour le sait bien, dans le contexte d’années de corruption pendant lesquelles l’ensemble de l’ancienne direction de l’UAW – ou, plutôt, une partie substantielle de celle-ci, y compris deux anciens présidents. De nombreuses personnes qui ont placé la direction actuelle au pouvoir ont été jetées en prison pour avoir dépouillé des membres de la base comme Will Lehman de l’argent de ses cotisations, pour avoir accepté des pots-de-vin de la part des entreprises, pour avoir accepté des conventions collectives dont le caractère juridique est très douteux en termes de droit des contrats et de leur applicabilité.

Cette cour nous a demandé d’aborder la question de savoir comment donner à l’élection une aura d’intégrité. Il n’y a pas d’aura d’intégrité possible dans des conditions où le rapport même du contrôleur indique que le ministère de la Justice a dû menacer de poursuivre pénalement le président actuel des Travailleurs unis de l’automobile sur la base du fait qu’ils violaient systématiquement le décret de consentement, tout en les plaçant en charge de s’assurer que les travailleurs sont conscients qu’une élection a lieu.

Lee a conclu:

L’UAW et le contrôleur, dans leurs réponses à l’Ordonnance restrictive temporaire [TRO] et à la plainte, affirment que l’extension du droit de vote violerait les droits des membres de l’UAW. Ceci est une position complètement absurde de dire que permettre à plus de travailleurs de voter, de dire que distribuer plus de bulletins de vote restreindrait les droits de vote des membres de l’UAW.

Le fait est, votre honneur, que c’est une position extrêmement préoccupante. Les défendeurs et le gouvernement devraient contribuer à étendre le droit de vote ou à garantir que le plus grand nombre possible de travailleurs participe à cette première élection dans l’histoire de l’UAW. Dans des conditions où une direction bien établie est au pouvoir depuis 75 ans sans jamais avoir fait face à un vote électoral direct.

Le juge a ensuite entendu les arguments oraux des avocats qui représentent l’UAW et le contrôleur, qui se sont montrés incapables de traiter le fond des questions démocratiques soulevées par la plainte de Lehman.

«Quelle est la raison pour laquelle vous pensez que le taux de participation est si faible jusqu’à présent?» À la question du juge, un avocat de l’UAW, Richard Griffin, a répondu: «Nous n’avons pas nécessairement une bonne réponse à cette question, votre Honneur», avant de procéder à une comparaison avec le taux de participation de 14 pour cent aux dernières élections directes des Teamsters. La comparaison n’est cependant pas sincère, puisque les deux premières élections directes à la direction des Teamsters dans les années 1990 ont connu des taux de participation bien plus élevés, de 28 et 33 pour cent.

Par la suite, le juge a interrogé Griffin plus directement sur les efforts du syndicat pour informer les travailleurs des élections.

LE TRIBUNAL: Êtes-vous satisfait de la façon dont l’avis d’élection a été distribué?

M. GRIFFIN: Oui, votre Honneur. Il y a environ –

LE TRIBUNAL: Permettez-moi de vous poser la question suivante. Auriez-vous pu faire mieux?

M. GRIFFIN: Il aurait été théoriquement possible de faire plus d’efforts, votre Honneur, mais –

LE TRIBUNAL: Convenez-vous qu’il y a des gens qui ne sont pas au courant de l’élection, des membres du syndicat qui ne sont pas au courant de l’élection?

M. GRIFFIN: Eh bien, c’est certainement – c’est certainement possible, votre Honneur, que certains membres ne soient pas au courant de l’élection.

Il était incapable de nier que l’appareil de l’UAW n’avait pas veillé à ce que tous les membres soient informés de l’élection. Griffin s’est rabattu sur des arguments procéduraux étroits selon lesquels 1) le tribunal n’avait pas compétence sur le procès, et qu’il ne pouvait pas entendre l’affaire, seul le secrétaire du Travail pouvait entendre l’affaire après les élections, et 2) Lehman n’avait pas «qualité», puisqu’il avait lui-même reçu un bulletin de vote.

Toutefois, comme l’a expliqué le WSWS, la deuxième allégation crée une situation impossible, où seuls les travailleurs qui n’étaient pas informés de l’élection peuvent intenter une action, ce qu’ils ne feraient pas puisque, ils ne savaient pas que leurs droits étaient violés.

Michael Ross, l’avocat du contrôleur de l’UAW nommé par le tribunal – qui est nominalement chargé de superviser l’UAW et ses élections à la suite d’un scandale de corruption qui dure depuis des années – a, par la suite, fait preuve d’une indifférence similaire à l’égard du faible taux de participation. Il a déclaré au juge qu’aucune raison n’existait pour conclure que cela était un «sujet de préoccupation».

Alors que le juge interrogeait Ross sur la méthode utilisée par l’UAW pour communiquer sur l’élection et envoyer les bulletins de vote – utilisant la base de données du système d’information des syndicats locaux (LUIS) – on a appris que ce système avait été développé uniquement pour la communication entre l’UAW International et les dirigeants locaux, c’est-à-dire au sein de la bureaucratie syndicale. Cela a incité le juge à répondre: «Je pensais que vous aviez mentionné quelque chose à propos de l’amélioration de la communication ou de la facilitation de la communication entre le syndicat international et les sections locales, ce qui excluait en quelque sorte les membres».

Ensuite, le juge a posé une série de questions à l’avocat du contrôleur sur l’utilisation de LUIS, auxquelles Ross n’a pas pu répondre immédiatement. Enfin, le juge a demandé:

LE TRIBUNAL: L’autre question à laquelle je suis sûr que vous n’avez pas la réponse est de savoir comment l’information était distribuée aux membres pour les votes de ratification? Avez-vous une idée à ce sujet?

M. ROSS: Le vote de ratification, plus précisément dans –

LE TRIBUNAL: La ratification des contrats.

M. ROSS: Encore une fois, votre Honneur, je dois m’entretenir avec le syndicat sur cette question spécifique.

Se tournant vers l’avocat de l’UAW, le juge Lawson a demandé:

LE TRIBUNAL: Monsieur Griffin, êtes-vous en mesure de fournir des renseignements à ce sujet?

M. GRIFFIN: Votre Honneur, je ne le suis pas à ce stade.

Plus tard, Lawson a demandé à Lee s’il était au courant, et celui-ci a répondu par l’affirmative, en déclarant que «ces cas ont tendance à se produire lors de grandes réunions de masse où les bulletins de vote sont distribués dans les locaux du syndicat. Ce serait une solution très facile et raisonnable, que cette cour pourrait adopter ici».

Dans sa décision du lendemain, Lawson a reconnu que les «griefs de Lehman sont certainement sérieux et devraient susciter des inquiétudes quant au fait qu’une réponse moins que complète des membres pourrait laisser présager des résultats électoraux qui ne sont pas véritablement représentatifs de la volonté des électeurs».

Le juge a néanmoins rejeté la plainte, se rangeant aux arguments absurdes de l’UAW et du contrôleur selon lesquels Lehman n’avait pas «qualité pour agir» et qu’il ne pouvait déposer sa plainte qu’après l’élection devant le secrétaire américain au Travail Marty Walsh – un individu qui est apparu à la convention de l’UAW cet été et a remercié l’actuel président de l’UAW Ray Curry pour son «amitié».

À la lumière de la décision du juge Lawson, la transcription de l’audience confirme la caractérisation de la décision par le WSWS comme une «parodie de justice». Lawson a clairement indiqué qu’il était parfaitement conscient que le processus de vote supervisé par l’appareil corrompu de l’UAW «peut laisser présager des résultats électoraux qui ne sont pas véritablement représentatifs de la volonté des électeurs». Néanmoins, Lawson a statué en faveur de la bureaucratie sur la base des motifs juridico-techniques les plus étroits, refusant de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des droits démocratiques des travailleurs.

Comme Joseph Kishore et David North l’ont écrit dans un article de Perspective à la suite de la décision:

L’appareil bureaucratique a réussi à empêcher une extension du délai, mais ce sera une victoire à la Pyrrhus. Ray Curry et ses collègues apparatchiks vont découvrir que convaincre un juge capitaliste de statuer en leur faveur n’est pas la même chose que de surmonter la méfiance et l’hostilité de centaines de milliers de travailleurs.

Non seulement le soutien à Lehman est énorme parmi les travailleurs de la base qui ont pu voter, mais la campagne électorale a déclenché un processus que la bureaucratie sera incapable de maitriser.

(Article paru en anglais le 29 novembre 2022)

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