Australie : un meeting anti-AUKUS cherche à détourner le sentiment anti-guerre vers le nationalisme

Une réunion publique nationale Zoom organisée par la Coalition australienne anti-AUKUS (AAC) dimanche dernier a mis en évidence son rôle dans la tentative de détourner le sentiment anti-guerre croissant des travailleurs et des jeunes vers une défense de l’impérialisme australien, présenté comme puissance moyenne prétendument «décente» de la région Asie-Pacifique.

Les orateurs à ce meeting étaient manifestement conscients de l’opposition généralisée de la classe ouvrière à l’allocation par le gouvernement Albanese (travailliste) d’au moins 368  milliards de dollars à l’achat de sous-marins nucléaires d’attaque AUKUS ciblant la Chine.

Ouvrant les débats, Bevan Ramsden, porte-parole du Réseau australien indépendant et pacifique (Independent and Peaceful Australia Network – IPAN) et correspondant de Green Left Weekly, l’organe de la Socialist Alliance pseudo-de gauche, a parlé de «l’inquiétude accrue, voire de l’indignation» suscitée par l’accord AUKUS.

Environ 200  personnes participaient à cette réunion en ligne, dont des représentants de tous les groupes de la pseudo-gauche et de diverses organisations pacifistes, staliniennes et ex-staliniennes.

Loin d'offrir une perspective anti-guerre, comme le prétend la CAA, les orateurs ont avancé une perspective nationaliste réactionnaire et totalement irréaliste. Ils ont affirmé que l'Australie pouvait se protéger d'une guerre mondiale catastrophique – qui mettrait en danger toute la planète ! – en devenant indépendante, ou du moins un peu moins dépendante des États-Unis.

Leur principale critique du pacte militaire AUKUS avec les États-Unis et le Royaume-Uni est qu’il sape la «souveraineté nationale» et les «intérêts nationaux» de l’Australie. Cela signifie essentiellement soutenir les intérêts de la classe dirigeante australienne, en continuant notamment à dominer et à piller le Pacifique Sud et d’autres parties de la région.

Les orateurs ont également appelé à une action concertée pour soutenir les efforts d’ex-dirigeants travaillistes, comme l’ancien Premier ministre Keating, pour s’opposer à certains aspects d’AUKUS sur cette base nationaliste. Ils ont également propagé l’illusion que les pétitions, les pressions et les protestations convaincraient le gouvernement Albanese de changer de cap.

En d’autres termes, ils ont cherché à canaliser l’hostilité face aux dépenses militaires massives et aux préparatifs de guerre du gouvernement travailliste pour la remettre entre les mains d’un appareil travailliste inconditionnellement attaché à l’alliance avec les États-Unis. Washington, qui a besoin de l’Australie et de ses bases militaires et de renseignement pour sa guerre contre la Chine n’a pas l’intention de permettre le moindre écart par rapport à cette alliance, de laquelle l’impérialisme australien dépend depuis la Seconde Guerre mondiale pour ses propres activités prédatrices dans la région et à l’international.

Brian Toohey, Alison Broinowksi et Vince Scappatura [Photo: Australian Anti-AUKUS Coalition]

Le premier orateur, Brian Toohey, ancien journaliste senior de l’Australian Financial Review, a appelé à un retour à une politique de «défense de l’Australie» qui, selon lui, avait été poursuivie pendant des décennies par les précédents gouvernements travaillistes et de coalition avec les libéraux.

Toohey n’a rien contre une augmentation des dépenses militaires. Il préconise plutôt l’achat au Japon, à l’Allemagne ou à la Corée du Sud d’une flotte de sous-marins plus petits, mais «supérieurs», alimentés par batteries et équipés de drones immergés, qui seraient déployés plus près de l’Australie. Ces sous-marins «renforceraient nos points forts», a-t-il déclaré, parlant le langage de l’establishment stratégique australien.

Ces propos font écho à ceux de Keating, qui a demandé la semaine dernière qu’on réaffecte les fonds alloués à AUKUS à une flotte de sous-marins à moteur diesel destinés à patrouiller le long des côtes australiennes.

Keating et Toohey parlent au nom d’une aile minoritaire de la classe dirigeante qui craint les conséquences désastreuses pour le capitalisme australien d’une participation à une guerre totale avec la Chine, son plus grand marché d’exportation. Mais ils soutiendraient des guerres pour défendre les intérêts de l’élite patronale australienne.

Keating est un dirigeant travailliste de droite. Il fut vice premier ministre du gouvernement de Bob Hawke qui a participé à des guerres et des interventions menées par les États-Unis, comme la première guerre du Golfe de 1990-1991, en faisant le calcul qu’elle avantagerait le capitalisme australien. Il a également mené des activités néocoloniales dans la région du Pacifique.

Les vues de Keating ont été applaudies par les deux autres intervenants, Alison Broinowksi, ancienne diplomate australienne, et Vince Scappatura, universitaire associé à l’IPAN. Broinowski a résumé le point de vue des participants en déclarant que l’Australie devrait «continuer à faire ce qu’elle fait, c’est-à-dire être une puissance moyenne décente de notre région».

Scappatura a donné du crédit à la propagande américaine et australienne qui dépeint Pékin comme une puissance agressive désireuse de dominer la région et le monde. En réalité, ce sont les États-Unis qui, par l’intensification de leurs actions militaires et économiques, poussent la Chine à entrer en conflit, comme ce fut le cas avec la Russie à propos de l’Ukraine. Washington considère Pékin comme la principale menace à sa domination mondiale.

Scappatura a exprimé des «préoccupations légitimes» concernant l’«agression» chinoise en mer de Chine méridionale, mais a déclaré que l’Australie ne serait pas une cible sans l’alliance avec les États-Unis. Cela laisse la porte ouverte au soutien d’une guerre contre la Chine si elle était provoquée dans des actions jugées menaçantes pour les intérêts australiens.

Mike Head s’adresse à la réunion de la Coalition anti-AUKUS [Photo: Australian Anti-AUKUS Coalition]

Ce journaliste a pris la parole lors de la séance de questions. Il a souligné que le Parti de l’égalité socialiste (SEP) avait fait de l’opposition à l’engagement du gouvernement travailliste dans l’offensive menée par les États-Unis contre la Russie et la Chine un élément central de sa campagne pour les élections de samedi dernier en Nouvelle-Galles du Sud. Le SEP avait constaté le dégoût et l’hostilité généralisés de la classe ouvrière à l’égard de la campagne de guerre, comme l’avaient fait nos partis frères à l’échelle internationale.

Je me suis opposé à la tentative de la Coalition de détourner ce sentiment anti-guerre pour défendre la «souveraineté» australienne dans l’intérêt de l’impérialisme australien. La défense du nationalisme australien n’a absolument rien à voir avec la construction d’un mouvement anti-guerre. La guerre ne peut être arrêtée que par un mouvement unifié de la classe ouvrière internationale pour renverser le capitalisme, qui a déjà produit deux guerres mondiales barbares.

Un mouvement anti-guerre ne peut pas non plus se fonder sur la promotion de bellicistes tels que Keating et ceux qui ont parlé à une réunion publique parrainée par l’AAC à Sydney le 19  mars. Il y avait là Bob Carr, qui, en tant que ministre des Affaires étrangères du gouvernement travailliste Gillard, a soutenu l’envoi de troupes en Afghanistan par le gouvernement Obama et la persécution du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Un autre orateur fut l’ancien colonel américain Lawrence Wilkerson, qui a rédigé le célèbre discours mensonger sur les «armes de destruction massive» prononcée par le secrétaire d’État américain Colin Powell devant l’ONU pour justifier l’invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis en 2003.

Il est significatif qu’aucun des intervenants n’ait tenté de répondre aux questions soulevées. Invitée par l’animatrice, l’avocate Kellie Tranter, à réagir, Broinowski a déclaré comprendre la «passion» du SEP, mais a défendu l’alignement sur Keating, Carr et Wilkerson. Elle a ajouté qu’elle n’était pas d’accord avec le fait d’attaquer certains de ceux n’ayant pas été tenus responsables des crimes commis au Moyen-Orient.

La réaction la plus véhémente fut exprimée dans le chat de la réunion Zoom par Ken Blackman, correspondant de Green Left Weekly, qui a activement promu l’événement. Il a écrit: «Malheureusement, nous ne pouvons pas espérer battre le marché des sous-marins si nous nous impliquons dans la lutte contre le capitalisme! Cela tuerait définitivement l’objectif de la CAA/IPAN».

Ce commentaire illustre l’hostilité totale de Socialist Alliance et des autres groupes de la pseudo-gauche représentés à la réunion, Socialist Alternative et Solidarity, dont les membres sont restés silencieux sur la lutte pour un véritable mouvement anti-guerre, qui ne peut s’appuyer que sur la classe ouvrière et la lutte mondiale pour le socialisme.

Ils se sont tous alignés sur l’orientation pro-établissement et nationaliste de la Coalition anti-AUKUS et de l’IPAN. Tout en suggérant que l’Australie se tienne à l’écart d’une guerre des États-Unis contre la Russie, chacun s’est aligné sur l’impérialisme américain dans son escalade de la guerre contre la Russie en Ukraine.

La force sociale décisive qui doit être mobilisée contre la guerre et le militarisme est la classe ouvrière, dans un mouvement unifié au niveau mondial contre la menace d’une troisième guerre mondiale et à travers une lutte contre la source du conflit – le système capitaliste.

La base d’un tel mouvement socialiste révolutionnaire existe dans le développement rapide des luttes de la classe ouvrière dans le monde, contre les offensives d’austérité intensifiées par des gouvernements qui déversent des milliards de dollars dans la campagne de guerre.

Le développement de ce mouvement nécessite une lutte sans relâche pour dénoncer la pseudo-gauche pro-impérialiste et les diverses tendances nationalistes qui, comme l’AAC et l’IPAN, cherchent à enchaîner les travailleurs et les jeunes à l’une ou à l’autre section de la classe capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 29 mars 2023)

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