«Tout se résume à une chose: le coût de la vie»

La grève des travailleurs du gouvernement du Canada entre dans sa deuxième semaine

La grève de plus de 100.000 travailleurs du gouvernement fédéral canadien, qui réclament des augmentations de salaire correspondant à l’inflation, des mesures de protection de l’emploi et des garanties de travail à distance, est entrée mercredi dans sa deuxième semaine. Alors que le gouvernement libéral de Justin Trudeau, pro-guerre et pro-austérité, redouble d’ardeur pour s’opposer aux revendications des grévistes, les travailleurs sur les piquets de grève sont plus déterminés que jamais à poursuivre et à élargir leur lutte.

Les grévistes, issus de Service Canada, de nombreux autres ministères et de l’Agence du revenu du Canada, insistent sur le fait que la revendication salariale initiale de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), à savoir des augmentations de salaire de 4,5 % par an dans le cadre d’un contrat de trois ans, est le minimum absolu qu’ils peuvent accepter. Ils travaillent sans contrat depuis deux ans dans des conditions de pandémie et d’inflation galopante. Comme l’a déclaré mardi un gréviste de Service Canada à Mississauga au World Socialist Web Site, «Nous sommes loin d’être à un point d’équivalence avec l’inflation. Nous gagnons toujours les mêmes salaires réels que les travailleurs en 2007.»

Des travailleurs fédéraux en grève à Mississauga, dans la banlieue de Toronto

«Nous avons besoin de meilleurs salaires. Beaucoup de nos employés sont également sous contrat. Ils n’ont donc pas de travail à durée indéterminée ni de sécurité de l’emploi, car les gens obtiennent un travail sous contrat, qu’il soit de six mois ou d’un an. Ils ne savent pas si leur contrat sera renouvelé après cette période. Nous sommes donc inquiets pour leur sécurité».

Lisa a ajouté: «Je pense que notre grève pourrait fixer des normes plus élevées pour tous les employeurs. Nous ne demandons pas beaucoup. Nous demandons un salaire équitable en fonction de la crise du coût de la vie.»

«Les taux d’intérêt bancaires grimpent en flèche et la tendance ne s’améliore pas. Le prix de l’essence, des produits d’épicerie, de tout. Nous ne pouvons plus faire la moitié des choses que nous avions l’habitude de faire. Tout se résume à une chose: le coût de la vie. Le coût de la vie».

Sam a déclaré: «Vous voulez un bon service de notre part. C’est ce que nous faisons. Tout ce que nous vous demandons, c’est de nous traiter équitablement. L’équité n’est pas au rendez-vous. Certains hauts fonctionnaires reçoivent des primes. Ce ne sont pas des fonctionnaires ordinaires.»

«Nous gagnons entre 40.000 et 60.000 dollars par an et nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts. Faisons mieux. Honte à notre gouvernement!»

Ce sentiment anime une série de luttes ouvrières qui ont déferlé sur le monde ces derniers mois. Qu’il s’agisse des grandes grèves des travailleurs de la santé, de la poste et d’autres secteurs en Grande-Bretagne, des manifestations de masse en France contre la réforme des retraites de Macron ou des grandes luttes industrielles aux États-Unis, les travailleurs internationaux entrent de plus en plus ouvertement en conflit avec une élite dirigeante qui cherche à imposer le coût de la crise capitaliste, y compris les dizaines de milliards consacrés à la guerre contre la Russie, sur le dos des travailleurs.

L’AFPC, qui est l’un des principaux partisans du gouvernement Trudeau déterminé à imposer des baisses de salaire réel à ses membres, a indiqué que ses négociateurs ont déjà reculé, plus d’une fois, sur les revendications salariales des travailleurs. Sans même dire aux grévistes quel est le nouveau chiffre demandé par les négociateurs de l’AFPC, le président national du syndicat, Chris Aylward, a affirmé lors d’une conférence de presse mercredi: «Nous avons reculé par rapport à nos revendications salariales antérieures. Nous avons fait un compromis.»

Cette misérable reculade est conforme à la politique de l’AFPC tout au long des négociations contractuelles. D’abord, elle a fait traîner les négociations en longueur, même lorsque le gouvernement Trudeau s’est comporté de manière extrêmement provocatrice. Ensuite, lorsque la grève a finalement été déclenchée le 19 avril, l’AFPC a limité la participation aux piquets de grève à quelques centaines de membres dans chaque localité et n’a pas lancé d’appel à d’autres sections de travailleurs pour qu’ils se joignent à la grève.

L’AFPC, le Congrès du travail du Canada et l’ensemble de la bureaucratie syndicale ont également présenté la grève comme un événement purement national. Quant aux syndicats américains, ils sont restés totalement silencieux sur le fait qu’une grève massive de plus de cent mille travailleurs se déroule de l’autre côté de la frontière.

Les travailleurs, quant à eux, reconnaissent que les problèmes fondamentaux qui motivent la grève sont les mêmes que ceux qui alimentent la recrudescence des luttes ouvrières dans tous les pays. Lisa, se référant à la résurgence mondiale des grèves et des protestations des travailleurs, a déclaré: «Cela se produit également à cause de la pandémie. C’est elle qui a tout fait basculer. Nous avons vu à quel point les conditions de travail étaient mondiales avec la COVID. Et cela nous a montré à quel point tout le monde se bat dans tous les pays».

Elle a poursuivi sur la pandémie: «Lorsque les députés obtiennent leur augmentation, comment cela peut-il être justifié? Comment est-il juste de travailler pendant trois ans sans contrat? Tout le monde ici s’est engagé à faire tourner la machine pendant la pandémie. Nous avons travaillé jour et nuit, nous ne sommes pas payés pour les heures supplémentaires, et nous avons fait preuve d’un tel dévouement et d’un tel travail.»

Au nom du gouvernement Trudeau, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, a réaffirmé mercredi que le gouvernement ne reviendrait pas sur son offre pathétique d’une «augmentation» salariale de 9 % sur trois ans. Ce chiffre est basé sur un rapport déposé par la Commission de l’intérêt public (CIP), soi-disant neutre, mais en fait financée par le gouvernement. Soulignant son mépris pour tout ce qui pourrait véritablement s’appeler négociation, Fortier a déclaré: «Il faut que l’AFPC commence à aligner ses revendications sur les recommandations de la Commission de l’intérêt public.»

Plus tôt dans la journée de mercredi, le Premier ministre Justin Trudeau a lancé un avertissement voilé selon lequel son gouvernement pourrait adopter une loi de retour au travail afin de criminaliser la grève. S’adressant au caucus parlementaire du Parti libéral, Trudeau a déclaré: «Le syndicat est certainement très conscient de l’impatience des Canadiens et il doit calibrer cela avec soin.» Trudeau a déjà criminalisé les grèves des postiers en 2018 et des dockers du port de Montréal en 2021.

Le ministre de l’industrie, François-Philippe Champagne, et le ministre des transports, Omar Alghabra, ont tous deux déclaré qu’ils surveillaient de près l’impact de la grève sur les ports, les aéroports et d’autres infrastructures réglementées par le gouvernement fédéral, et qu’ils cherchaient également à jeter les bases politiques d’une loi antigrève draconienne.

Cependant, l’option préférée du gouvernement reste d’utiliser la bureaucratie syndicale et le NPD allié des syndicats pour imposer un accord de capitulation. Avec le soutien enthousiaste des syndicats, le NPD a conclu une alliance gouvernementale formelle avec les libéraux depuis mars 2022, dans le cadre de laquelle il s’est engagé à maintenir les libéraux minoritaires au pouvoir jusqu’en juin 2025.

Interrogés sur le piquet de grève au sujet de la menace d’un retour au travail imposé par la loi, les grévistes ont répondu avec colère. «La réalité est la suivante. Nous exerçons notre droit. Nous en avons assez qu’on nous manque de respect et qu’on nous sous-estime», a déclaré Sam. Lisa a ajouté: «Ils disent que nous sommes un pays démocratique, ce qui serait totalement contradictoire. Nous avons le droit de nous organiser et de faire grève.»

«Si cette loi est adoptée, nous avons le droit démocratique de la combattre jusqu’au bout, dans la mesure où chacun d’entre nous peut se le permettre. Comme vous le savez, les grèves sont financièrement difficiles pour les grévistes».

Ces sentiments sont sains, mais ils ne peuvent se concrétiser que si les travailleurs prennent en main la conduite de leur lutte en créant des comités de grève composés de membres de la base, indépendants des bureaucraties syndicales sur le plan organisationnel et politique. Les syndicats se sont invariablement inclinés devant les dizaines de lois de retour au travail mises en œuvre par les gouvernements de toutes tendances politiques au cours des quatre dernières décennies, et l’AFPC ne fera pas autrement si Trudeau met sa menace à exécution. La seule réponse viable pour les travailleurs dans une telle situation serait de faire appel, par l’intermédiaire de leurs comités de base, à d’autres sections de travailleurs pour élargir la lutte et faire de leur grève le fer de lance d’une lutte politique contre le programme d’austérité et de guerre du gouvernement Trudeau.

La préparation d’une telle lutte ne peut cependant pas être retardée. Que le gouvernement Trudeau choisisse une loi de retour au travail ou qu’il préfère utiliser l’AFPC pour imposer une capitulation, les grévistes sont confrontés à une lutte politique. Il faut se tourner vers le développement d’une contre-offensive de masse menée par la classe ouvrière pour des emplois sûrs et bien rémunérés, des services publics bien financés et la fin du gaspillage de milliards de dollars pour la guerre impérialiste et les renflouements des super-riches.

Les grévistes qui sont d’accord avec ce programme devraient commencer à mettre en place des comités de grève sur leurs lieux de travail afin d’attirer des couches plus larges de travailleurs dans la lutte pour placer les besoins sociaux de la grande majorité avant les intérêts de profit d’un petit nombre. Dans cette lutte, ils trouveront des soutiens parmi les centaines de milliers de travailleurs du pays qui travaillent actuellement sans contrat, y compris les 600.000 travailleurs du secteur public du Québec, dont les contrats ont expiré en mars, et 200.000 enseignants de l’Ontario, qui travaillent sans contrat depuis le mois d’août 2022.

(Article paru en anglais le 28 avril 2023)

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