De nouvelles accusations dans l’affaire des documents de Mar-a-Lago intensifient la crise politique aux États-Unis

Alors qu’une inculpation se profile concernant les efforts de l’ex-président Donald Trump pour annuler les élections de 2020, qui ont culminé avec l’assaut fasciste du 6 janvier 2021 sur le Capitole, le conseiller spécial Jack Smith a levé les scellés jeudi sur un nouvel acte d’accusation dans l’affaire distincte des documents de Mar-a-Lago, ajoutant le chef d’accusation que Trump avait cherché à supprimer des bandes vidéo citées à comparaître.

Le mois dernier, un grand jury du sud de la Floride constitué par Smith a publié une inculpation de Trump comportant 37 chefs d’accusation de violation de la Loi sur l’espionnage pour avoir conservé illégalement des documents classifiés et contenant des informations secrètes relatives à la défense nationale lorsqu’il a quitté ses fonctions. L’acte d’accusation reproche également à Trump et à son assistant personnel Walt Nauta d’avoir conspiré pour entraver les efforts du gouvernement fédéral visant à récupérer les documents.

Marine One décolle après avoir ramené le président Donald J. Trump à Mar-a-Lago le vendredi 29 mars 2019. [Photo: Official White House Photo by Joyce N. Boghosian]

Cette inculpation fut un tournant dans la crise persistante du système politique américain. Elle a marqué la toute première inculpation pénale d’un ex-président, qui de surcroît est l’actuel favori pour remporter l’investiture républicaine à la présidence pour 2024. Trump et Nauta ont plaidé non coupables. Leur procès devant la juge fédérale du sud de la Floride, Aileen Cannon, nommée par Trump, a été fixé à mai 2024 – un moment du cycle électoral où Trump pourrait très bien avoir consolidé sa candidature à la présidence.

Suite à la publication de l’acte d’accusation actualisé, Trump a une nouvelle fois dénoncé les enquêtes du ministère de la Justice. Il les a qualifiés de harcèlements politiques et d’ingérences électorales, et a promis de poursuivre sa candidature à un nouveau mandat à la Maison-Blanche, même s’il est un criminel condamné. La quasi-totalité des dirigeants républicains s’est à nouveau ralliée à lui. Ils ont effectivement défendu sa tentative de renverser la Constitution en 2020 et ses appels de plus en plus fascistes à bannir communistes et socialistes des États-Unis.

Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a menacé de lancer une enquête de destitution contre le président Joe Biden. Il a cité l’échec la semaine dernière d’un accord de plaidoyer pour Hunter Biden concernant des affaires louches en Ukraine et en Chine impliquant Biden père et fils.

Il est hautement significatif qu’à ce jour, plus de deux ans et demi après la tentative de coup d’État de Trump, soutenue par des forces puissantes dans l’aristocratie financière, l’armée, le renseignement et le système judiciaire – dont au moins deux juges de la Cour suprême – aucune accusation criminelle n’ait été portée contre lui ou ses complice de conspiration pour leur tentative d’instaurer une dictature présidentielle.

Cela est dû en grande partie à ce que le Parti démocrate et le gouvernement Biden se concentrent sur la poursuite de la guerre contre la Russie en Ukraine et sur les préparatifs de guerre contre la Chine, et qu’ils souhaitent maintenir à cette fin une «unité bipartite» avec au moins une partie des Républicains.

Dans le même temps, Biden et les démocrates veulent un «Parti républicain fort» afin d’imposer des politiques d’austérité brutales. Ils veulent réprimer l’opposition croissante et explosive de la classe ouvrière aux salaires de misère, aux conditions de travail intolérables et aux stupéfiantes inégalités sociales. À la fin de 2022, les deux partis du grand capital se sont unis pour faire passer une loi interdisant une grève des chemins de fer et imposant un contrat rejeté par les travailleurs du rail. Mais les grèves continuent de s’étendre – chez les acteurs et les scénaristes, les travailleurs de la logistique, les dockers et les travailleurs de l’automobile.

Les poursuites engagées contre Trump pour violation de «secrets d’État», c’est-à-dire pour n’avoir pas soustrait les plans de guerre américains, y compris l’usage d’armes nucléaires, aux yeux du peuple américain, n’ont aucun contenu démocratique. D’où l’utilisation dans les documents d’accusation de l’Espionage Act, utilisé par la classe dirigeante américaine pour emprisonner des opposants socialistes à la guerre tels qu’Eugene Debs, pour envoyer les Rosenberg à la chaise électrique, et emprisonner et persécuter ceux dénoncant les crimes de guerre américains, comme Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden.

Au début de la semaine dernière, Trump a annoncé qu’il avait reçu une lettre d’objectif du bureau de l’avocat spécial l’informant d’une enquête le visant dans le cadre de la tentative de renversement de l’élection de 2020 et de l’insurrection du 6 janvier. Parmi les chefs d’accusation potentiels énumérés dans cette lettre figurent l’obstruction au Congrès (l’attaque du 6 janvier), la conspiration en vue de frauder les États-Unis (en recrutant des partisans pour déposer de faux certificats en tant qu’«électeurs» au collège électoral) et la fraude par fil ou courrier (pour avoir sollicité des fonds auprès de partisans afin de s’opposer à une prétendue fraude électorale).

On s’attend généralement à ce que le grand jury de Smith à Washington D.C. prononce une inculpation comportant ces chefs d’accusation dans les prochains jours. Jeudi, avant la publication de l’acte d’accusation actualisé dans l’affaire des documents de Mar-a-Lago, les avocats de Trump ont rencontré les procureurs de Smith pour discuter de l’acte d’accusation criminel probable concernant sa tentative d’annulation de l’élection de 2020.

Ces poursuites et cette condamnation sont tout à fait justifiées et appropriées. Cependant, la réticence du gouvernement Biden à poursuivre l’affaire, et son opposition antérieure bien documentées aux appels de responsables inférieurs du ministère de la Justice à le faire. Cela souligne le fait que la classe ouvrière ne peut pas arrêter le danger fasciste et défendre les droits démocratiques en s’appuyant sur les partis capitalistes ou la machine d’État. La classe ouvrière doit organiser son pouvoir social massif en tant que force politique indépendante en opposition à l’ensemble du système politique capitaliste.

L’acte d’accusation mis à jour de 60 pages détaille un degré de criminalité et de violation des lois de la part de Trump et de ses alliés qui rivalise, voire dépasse, les opérations d’un parrain de la mafia. L’acte d’accusation révisé ajoute trois chefs d’accusation à l’encontre de Trump, dont celui d’avoir tenté de «modifier, détruire, mutiler ou dissimuler des preuves». Il souligne également sa rétention illégale d’un document militaire top secret décrivant des plans de guerre contre l’Iran. Trump est enregistré en train de parler de ce document et de le montrer à des associés dans son club de golf de Bedminster, dans le New Jersey.

Toutefois, lors d’une récente interview accordée à Fox News, il a affirmé qu’«il n’y avait pas de document… Il n’y avait rien à déclassifier», ce qui est un mensonge évident.

L’acte d’accusation actualisé désigne également un troisième accusé en plus de Trump et Nauta. Il accuse le gestionnaire immobilier de Mar-a-Lago et employé de longue date de Trump, Carlos De Oliveira, d’avoir œuvré avec les accusés précédents à supprimer des images de sécurité potentiellement incriminantes qui montrent des employés de Trump en train de déplacer et d’enlever des boîtes de documents.

Il déclare que fin juin 2022, quelques jours seulement après que le ministère de la Justice eut envoyé à Trump un projet de citation à comparaître pour obtenir les images de surveillance, celui-ci avait appelé De Oliveira et parlé avec lui pendant 24 minutes. Deux jours plus tard, Nauta et De Oliveira ont inspecté les caméras de surveillance et la cabine des gardes où sont affichées les vidéos de surveillance. Plusieurs jours après, d’Oliveira est allé voir l’expert en informatique de Mar-a-Lago, Yuscil Taveras, qui supervisait les images des caméras de surveillance du complexe de Trump.

Selon l’acte d’accusation révisé, De Oliveira a dit à Taveras que «le patron» voulait que le serveur soit supprimé. Taveras a refusé, disant qu’il ne savait pas comment supprimer le serveur et qu’il ne pensait pas avoir le droit de le faire. De Oliveira a de nouveau insisté pour dire que «le patron» voulait que le serveur soit supprimé et a demandé: «Qu’allons-nous faire?»

Deux mois plus tard, après que le FBI soit entré à Mar-a-Lago avec un mandat de perquisition et ait emporté 100 documents classifiés, Nauta a dit à un autre employé de Trump: «Quelqu’un veut juste s’assurer que Carlos va bien». Après cette conversation, Trump a appelé De Oliveira et lui a dit qu’il lui trouverait un avocat.

La nouvelle accusation de la tentative d’effacement de la vidéo de sécurité exigée par le ministère de la Justice rappelle le conflit autour des enregistrements de la Maison-Blanche de Nixon. Cela a joué un rôle central dans la crise du Watergate il y a 49 ans. La différence entre l’issue du conflit sur les cassettes de Nixon et le degré de conflit interne du système politique capitaliste aujourd’hui donne la mesure de la crise sans précédent du régime de classe et de l’effondrement de ce qui reste des formes démocratiques bourgeoises de ce régime.

Un trou de dix-huit minutes et demie dans l’enregistrement de discussions de Nixon à la Maison-Blanche datant du 20 juin 1972 a fait éclater la crise du Watergate et a finalement conduit le 24 juillet 1974 à un jugement 8 voix contre 0 de la Cour Suprême, rejetant le refus de Nixon de remettre toutes ses cassettes au procureur spécial du Watergate.

Après la publication de la transcription de la conversation de Nixon avec son chef de cabinet H. R. Haldeman, les dix républicains de la Commission judiciaire de la Chambre qui avaient voté contre la mise en accusation ont déclaré qu'ils voteraient pour, une fois que la question serait examinée par la Chambre. Le soutien républicain dont bénéficiait Nixon au Sénat s'est également dissous, garantissant la condamnation et la destitution du président par la Chambre haute.

Nixon annonça sa démission le 8 août 1974, 15 jours après que la Cour suprême lui ait ordonné de rendre publics les enregistrements.

Le Watergate fut l’expression historique de la crise économique, politique et sociale croissante du capitalisme américain. Il est apparu au lendemain de l’effondrement de la convertibilité dollar-or et du système de Bretton Woods, dans le contexte d’une défaite militaire imminente au Vietnam et d’une opposition croissante de la classe ouvrière au marasme économique et à l’inflation.

Elle fut suivie de la crise Iran-Contra sous Reagan, la destitution de Bill Clinton et l'élection volée de 2000.

Il n’existe aujourd’hui aucune base pour une résolution pacifique de la crise politique, même temporaire, tant sont profondes la crise du capitalisme américain et la putréfaction de son système politique.

(Article paru d’abord en anglais le 29 juillet 2023)

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