Sri Lanka : mouvement de protestation massif contre la loi antiterroriste de Wickremesinghe dans le Nord et dans l’Est

Les provinces du Nord et de l’Est du Sri Lanka, ravagées par la guerre, ont été paralysées mardi par un hartal massif (grève et fermeture des commerces et des services) pour protester contre la nouvelle loi antiterroriste (ATB) du président Ranil Wickremesinghe.

Les rues de Jaffna sont désertes pendant le hartal du 25 avril dans les provinces du nord et de l'est du Sri Lanka.

Comme le WSWS l’a déjà signalé, «le projet de loi est si large et si vague que toute activité politique antigouvernementale peut être définie comme du terrorisme». Les actes dits terroristes peuvent être punis de la prison à vie ou de la peine capitale.

Ils peuvent inclure des actes tels que «contraindre illégalement le gouvernement… à faire ou à s’abstenir de faire quelque chose; empêcher illégalement un tel gouvernement de fonctionner». C’est là une tentative évidente de mettre hors la loi l’opposition de masse qui existe contre les coupes sociales radicales mises en œuvre au nom de la finance internationale.

Des Tamouls et des musulmans de toutes les provinces ont participé au mouvement de protestation qui a entraîné la fermeture d’écoles, d’universités, de certains bureaux du secteur public, des services de transport privés et de commerces. Les tribunaux n’ont pas pu fonctionner en raison du manque d’avocats. Seuls les hôpitaux, les banques et les principaux bureaux administratifs sont restés ouverts. Des membres de l’armée sri-lankaise et des policiers des forces spéciales ont été déployés pour patrouiller dans les rues.

Les deux provinces sont sous occupation militaire depuis des décennies, et l’ont été avant même que Colombo n’entame sa guerre contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) en 1983.

Il était prévu que les travailleurs organisent des manifestations dans toute l'île, près de leurs lieux de travail et de leurs institutions, pour protester contre l'ATB. Cependant, les bureaucraties syndicales de Colombo ont saboté celles prévues, sous le prétexte peu convaincant que le gouvernement avait reporté la présentation au Parlement de cette mesure draconienne.

Le hartal a été appelé par neuf partis nationalistes tamouls, dont l’Ilankai Tamil Arasu Katchchi, l’Alliance du peuple tamoul et le Front national du peuple tamoul. Ces partis bourgeois discrédités ont lancé l’action afin de contenir la colère grandissante contre les mesures répressives du gouvernement et ses attaques croissantes contre les conditions sociales.

Le projet de loi antiterroriste doit remplacer la tristement célèbre loi sur la prévention du terrorisme (PTA), en vigueur depuis 1979 et utilisée par les gouvernements successifs de Colombo, en particulier contre les masses tamoules. Si ces partis ont demandé le retrait de l’ATB, ils n’ont pas exigé l’abrogation de la PTA. Ils ont également demandé la fin des nouvelles implantations cinghalaises dans le nord.

Les groupes nationalistes tamouls ont une approche intermittente à l'égard du régime de Wickremesinghe, sans se préoccuper sérieusement des droits démocratiques des travailleurs et des pauvres. Leurs manœuvres politiques visent à faire pression sur Colombo pour négocier la dévolution du pouvoir politique dans le nord et l'est et pour garantir des privilèges à l'élite tamoule.

La guerre de 26  ans menée par Colombo contre les LTTE a été le point culminant d’une discrimination communautaire permanente à l’encontre de la minorité tamoule depuis l’indépendance en 1948. Elle a été utilisée par l’élite cinghalaise pour affaiblir et diviser la classe ouvrière sur la base de critères ethniques.

La guerre a dévasté les deux provinces. Elle a tué et déplacé des dizaines de milliers de personnes. Elle a pris fin avec la défaite militaire des LTTE en mai 2009. Selon les Nations unies, de nombreux crimes de guerre ont été commis par l’armée sri-lankaise pendant le conflit. Au moins 40.000  civils tamouls ont été tués au cours des dernières semaines de la guerre.

Les Tamouls du nord et de l’est du pays continuent de manifester régulièrement pour demander au gouvernement et aux forces armées de divulguer des informations sur les centaines de personnes que l’armée a fait « disparaître ».

Le hartal de mardi s’est déroulé dans un contexte de colère croissante face à l’aggravation de la crise économique et à l’application impitoyable par Colombo des mesures d’austérité imposées par le Fonds monétaire international (FMI).

En avril-juin de l’année dernière, les travailleurs et les pauvres tamouls et musulmans se sont unis aux masses cinghalaises au-delà des différences ethniques lors de manifestations nationales et de grèves qui ont chassé l’ancien président Gotabhaya Rajapakse et son gouvernement. Les 1er et 15  mars, les travailleurs des provinces du Nord et de l’Est se sont joints aux grèves et aux manifestations nationales contre les mesures d’austérité du FMI.

Mardi, Udayan, chauffeur de taxi à trois roues, a déclaré au WSWS: «Je soutiens ce hartal. Nous avons beaucoup souffert au fil des ans avec la PTA et cette nouvelle loi sera également utilisée contre tout le monde».

Un chauffeur de bus des transports publics a déclaré: «Nous avons été contraints de travailler aujourd’hui par les autorités de l’Office des transports de l’État, mais nous soutenons pleinement ce mouvement de protestation. Mais les syndicats de notre dépôt, parce qu’ils sont impliqués dans de nombreux partis politiques, ne soutiennent pas de telles manifestations. C’est pourquoi nous n’avons pas pu y participer. Même les partis tamouls qui y ont appelé ne l’ont pas planifiée et organisée correctement».

Le 20  avril, la direction du Trade Union Collective (TUC) a tenu une conférence de presse à Colombo, déclarant qu’elle organiserait des manifestations dans toute l’île devant les lieux de travail pour protester contre l’ATB le 25  avril. Les manifestations exigeraient également la fin de la privatisation des ressources nationales, l’abolition du système injuste de l’impôt sur le revenu et la réduction des tarifs de l’électricité.

Le TUC est un regroupement de plusieurs syndicats, dont l'Inter Company Workers Union (ICWU), le Ceylon Teacher Service Union, le Development Officers Union (DOU) et le All Ceylon Port Workers Union (ACPWU), contrôlé par le parti Janatha Vimukthi Peramuna (JVP). Parmi les autres membres du front figurent le All Telecom Workers Union (ATWU) et le Sri Lanka Professionals Trade Union.

Wasantha Samarasinghe, président de l'Inter Company Workers Union et leader du JVP.

Lorsqu’un correspondant du WSWS a téléphoné pour demander pourquoi la journée de protestation avait été annulée, Wasantha Samarasinghe, leader du JVP et président de l’ICWU, a affirmé qu’aucune action n’avait été prévue pour le 25  avril. C’est un mensonge. Samarasinghe a annoncé publiquement cette date lors de la conférence de presse du 20  avril.

La WSWS a posé la même question aux secrétaires généraux de l’ATWU et de la DOU, respectivement Nagath Gurusinghe et Chandana Suriyaarachchi. Ils ont répondu qu’on avait annulé les manifestations parce que le gouvernement avait reporté la présentation de l’ATB au Parlement.

«Nous avions prévu de la faire avec un hartal dans le nord et dans l’est, mais nous avons reporté la journée de protestation parce que le projet de loi n’a pas été présenté au parlement. Nous le ferons lorsqu’il sera présenté», a déclaré Gurusinghe.

Le ministre de la Justice, Wijeyadasa Rajapakshe, avait initialement annoncé que l’ATB serait présenté le 25  avril, mais il l’a ensuite reporté en réponse à l’opposition populaire. Elle sera présentée avec des modifications, après que «tout le monde» aura soumis des propositions, a-t-il déclaré.

Le «report» n’est qu’une nouvelle manœuvre politique qui vise à faire dérailler l’opposition de masse. Toute modification sera purement cosmétique, tout en conservant tous les éléments draconiens de la législation. L’objectif de la loi restera de renforcer l’appareil d’État du Sri Lanka afin d’écraser brutalement l’opposition populaire croissante aux attaques du gouvernement contre les droits sociaux et démocratiques.

La semaine dernière, le président Wickremesinghe a menacé les professeurs d’université et d’école qui boycottaient la correction des examens d’entrée à l’université de déclarer l’éducation «service essentiel». Cela signifierait que des sanctions sévères, y compris des peines de prison et des amendes, pourraient être imposées à tout enseignant faisant grève.

Le gouvernement et les bureaucraties syndicales craignent la colère croissante des travailleurs sri-lankais qui, à l’instar des travailleurs du monde entier, se mobilisent pour réclamer des emplois, de meilleurs salaires et un meilleur niveau de vie. Alors que l’élite dirigeante sri-lankaise renforce son appareil répressif, les syndicats font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher une lutte de la classe ouvrière contre cet assaut anti-démocratique.

Le 25  avril, Samarasinghe a déclaré lors d’une conférence de presse que le TUC rencontrerait des ambassadeurs étrangers, des responsables de l’ONU et de l’Organisation internationale du travail, des organisations de défense des droits de l’homme, des dirigeants des partis parlementaires d’opposition, et des personnalités religieuses afin de faire pression sur le gouvernement pour qu’il retire l’ATB.

Bien que le TUC et d’autres dirigeants syndicaux du Sri Lanka émettent des critiques limitées sur l’austérité et l’ATB, ils sont affiliés à des partis, tels que le Samagi Jana Balawegaya et le JVP, qui soutiennent le programme du FMI et les lois antiterroristes. Si ces partis d’opposition arrivaient au pouvoir, ils appliqueraient eux-mêmes sans pitié les exigences du FMI.

Aucune pression ne changera l’élite dirigeante en crise, ses mesures dictatoriales et ses attaques contre les conditions de vie et les conditions sociales.

C’est pourquoi les travailleurs doivent créer leurs propres comités d’action sur chaque lieu de travail, dans chaque plantation et dans chaque centre économique important, ainsi que dans les zones rurales. Le développement de ces comités d’action créera les conditions permettant aux travailleurs du nord et de l’est, ainsi que du sud de s’opposer à la politique communautariste des nationalistes tamouls et de l’élite cinghalaise.

Les travailleurs doivent revendiquer: l’Abolition de la présidence exécutive! Non à l’ATB! Abrogation de toutes les lois répressives, y compris l’état d’urgence, les services essentiels et la législation PTA! Libération de tous les prisonniers politiques! Non à l’austérité du FMI!

Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) appelle la classe ouvrière et les masses rurales à construire un Congrès démocratique et socialiste des travailleurs et des masses rurales, basé sur les délégués de leurs comités d’action. Un tel congrès servira de centre de pouvoir aux masses dans la lutte pour leurs droits démocratiques et sociaux. En luttant politiquement dans ce sens, la classe ouvrière préparera le terrain pour un gouvernement ouvrier et paysan acquis à la réorganisation de la société dans le cadre de la transition vers le socialisme international.

(Article paru d’abord en anglais le 28 avril 2023)

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