Pelosi accuse les manifestants anti-génocide d’être des agents de Poutine

Dans des commentaires toxiques qui combinent à parts égales aveuglement politique et calomnies, l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, est apparue à la télévision nationale dimanche matin pour déclarer que les vastes manifestations contre le génocide israélien à Gaza étaient en fait financées et encouragées par le président russe Vladimir Poutine.

Nancy Pelosi accuse les manifestants de Gaza de transmettre «le message de M. Poutine». 28 janvier 2024 [Photo: CNN News]

Pelosi répondait à une question de l'animatrice Dana Bash dans l'émission «State of the Union» de CNN, qui demandait si les jeunes, les Américains d'origine arabe et les «progressistes» risquaient de rester chez eux plutôt que de voter pour Biden en novembre, en raison de leur hostilité à l'égard des actions israélo-américaines à Gaza. Cet échange a suivi, selon la transcription publiée par la chaîne :

PELOSI : Eh bien, permettez-moi de dire ceci, parce que j'ai été la cible de leurs, disons, exubérances, et ce pas plus tard que jeudi à Seattle, où ils voulaient malheureusement perturber notre très excitante réunion démocrate. Ils sont tout le temps devant ma maison. [...] Nous allons donc nous pencher sur cette question. Mais qu'ils appellent à un cessez-le-feu, c'est le message de M. Poutine, le message de M. Poutine. Ne vous y trompez pas, c'est directement lié à ce qu'il aimerait voir. Même chose pour l'Ukraine. Il s'agit du message de Poutine. Je pense que certains de ces manifestants sont spontanés, organiques et sincères. D'autres, je pense, sont liés à la Russie. Et je dis cela après avoir observé la situation depuis longtemps, comme vous le savez.

BASH : Vous pensez que certaines de ces manifestations ont été menées par des agents russes ?

PELOSI : Je ne pense pas qu'il s'agisse d’agents. Je pense que certains financements devraient faire l'objet d'une enquête. Et je veux demander au FBI d'enquêter là-dessus.

Des groupes opposés à la discrimination à l'encontre des Arabes et des musulmans, comme le Conseil des relations américano-islamiques (CAIR), ont dénoncé les propos de Pelosi. Nihad Awad, directeur général national du CAIR, a déclaré : «Nous sommes profondément troublés par les propos de l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Pelosi. L'affirmation de la députée Pelosi selon laquelle certains des Américains qui manifestent en faveur d'un cessez-le-feu à Gaza travaillent avec Vladmir Poutine semble délirante et son appel au FBI pour qu'il enquête sur ces manifestants sans aucune preuve est carrément autoritaire.»

«Malheureusement, les commentaires de la députée Pelosi rappellent l'époque où les opposants à la guerre du Viêt Nam étaient accusés d'être des sympathisants communistes et faisaient l'objet d'un harcèlement de la part du FBI. Des centaines de milliers d'Américains, dont de nombreux jeunes, des militants progressistes et des Américains juifs, musulmans, palestiniens et noirs, manifestent pour demander un cessez-le-feu à Gaza. Des millions d'autres Américains sont favorables à un cessez-le-feu, y compris la majorité des démocrates, selon les principaux sondages».

Mais les grands médias n'ont guère réagi à la diffamation maccartiste de Pelosi. Le New York Times a publié un seul bref article, tandis que le Washington Post et le Wall Street Journal n'ont pas fait de commentaires. Seule CNN, la chaîne sur laquelle Pelosi était apparue, a fait état de réactions négatives à ses remarques, tandis que les autres chaînes de télévision et les réseaux câblés n'ont rien dit.

Pelosi avait tenu des propos similaires en octobre, en réponse à des manifestants qui se trouvaient devant sa maison pour protester contre le massacre de Gaza, en criant «Arrêtez le génocide ! Arrêtez l'holocauste !» Une femme s'est adressée directement à Pelosi alors qu'elle entrait dans sa voiture, en disant : «Les démocrates veulent le cessez-le-feu». On entend Pelosi répondre en criant : «Retournez en Chine, là où se trouve votre quartier général». (Les manifestants semblaient être blancs, pas asiatiques.)

Aucune personnalité majeure du Parti démocrate n'a réagi à ces commentaires d'une personne qui était la principale voix des démocrates au Capitole il y a seulement 13 mois. La Maison-Blanche de Biden continue de rejeter les appels au cessez-le-feu tout en encourageant les attaques menées par les fascistes républicains pro-Trump à la Chambre des représentants contre les partisans d'un cessez-le-feu, en particulier parmi les étudiants, qui sont traités d'antisémites parce qu'ils s'opposent au meurtre de masse dans la bande de Gaza.

On aurait tort de ne voir dans ces propos que les élucubrations d'une femme de 83 ans, connue pour son charabia incompréhensible, même à l'époque où elle était dirigeante démocrate et présidente de la Chambre des représentants. (Pelosi a démissionné de son poste après les élections de 2022, lorsque son parti a perdu sa faible majorité à la Chambre des représentants.)

Quelles que soient ses limites dans ses discours en public, Pelosi était un personnage puissant et profondément réactionnaire dans les coulisses, entretenant les liens les plus étroits avec les plus hauts niveaux de la machine d'État américaine et de son réseau de renseignement militaire. Elle a longtemps été membre de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants avant de devenir chef du groupe démocrate, où elle faisait partie du «gang des huit», des dirigeants du Congrès régulièrement informés des opérations militaires secrètes des États-Unis.

Au cours de ses deux mandats distincts en tant que présidente de la Chambre, 2006-2010 et 2018-2022, elle était la deuxième dans la ligne de succession à la présidence, derrière le vice-président, et a joué un rôle clé dans la collaboration bipartisane, d'abord avec le président George W. Bush, puis avec le président Donald Trump.

Lorsqu'elle a déclaré à Dana Bash : «Je dis cela après avoir observé la situation depuis longtemps, comme vous le savez», elle laissait entendre que ses décennies de travail avec les agences de renseignement l'avaient convaincue que le gouvernement russe – et apparemment les Chinois aussi – intervenait activement dans la politique américaine et exploitait, voire créait, les divisions politiques au sein des États-Unis.

L'affirmation selon laquelle les participants aux manifestations contre le génocide israélien à Gaza sont financés et manipulés par Moscou et Pékin est une calomnie réactionnaire maccartiste. Pelosi aurait été imprégnée de ces tactiques dès son plus jeune âge. Fille d'un député démocrate de Baltimore (Maryland), elle a passé une grande partie des années 1950 dans un lycée et une université catholiques pour filles.

Pelosi a été particulièrement associée aux provocations anti-russes et anti-chinoises au nom de l'appareil de renseignement militaire au lendemain de l'effondrement du stalinisme.

Elle a été l'une des plus ferventes avocates de la campagne du Parti démocrate dépeignant Donald Trump comme un larbin du président russe Vladimir Poutine, et a donné en 2019 le feu vert à la première destitution de Trump pour son appel téléphonique avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Trump cherchait à obtenir des informations compromettantes sur le démocrate Joe Biden, et a brièvement retardé l'aide militaire américaine destinée au régime de Kiev afin de faire pression sur lui. Cela risquait de compromettre les plans américains de longue date, déclenchés sous l'administration Obama, visant à faire de l'Ukraine un fer de lance contre la Russie.

En ce qui concerne la Chine, Pelosi soutient depuis longtemps des groupes d'émigrés chinois de droite influents dans le quartier chinois de San Francisco, l'un des plus grands des États-Unis. En août 2022, lors de l'un de ses derniers actes en tant que présidente de la Chambre des représentants, Pelosi s'est rendue à Taïwan, devenant ainsi le plus haut responsable américain à visiter l'île, au mépris de la politique sino-américaine d’une seule Chine, qui reconnaît que Taïwan fait partie de la Chine et n'est pas un pays à part entière.

Un porte-parole de la députée a fait référence à ce dossier de manière indirecte pour expliquer les commentaires de Pelosi : «Informée par trois décennies passées au sein de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants, la présidente Pelosi est parfaitement consciente de la manière dont les adversaires étrangers s'immiscent dans la politique américaine pour semer la division et influencer nos élections, et elle souhaite que des enquêtes plus approfondies soient menées avant l'élection de 2024.»

L'affirmation selon laquelle des manifestants contre le génocide sont financés par Moscou et font les affaires de Poutine est une diffamation politique particulièrement grossière. Si le gouvernement russe a approuvé un cessez-le-feu, il n'est pas le seul. En décembre, 153 membres de l'Assemblée générale des Nations unies ont voté en faveur d'un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Il en va de même pour 67 membres du groupe démocrate à la Chambre des représentants, dont 13 membres de la seule Californie, ainsi que pour le conseil municipal de San Francisco, où vit Pelosi.

Lors des primaires du New Hampshire la semaine dernière, 1500 démocrates du New Hampshire ont inscrit «cessez-le-feu» sur leur bulletin de vote, soit environ 1,25 % des voix. Cela équivaudrait, à l'échelle nationale, compte tenu des 80 millions d'électeurs démocrates, à environ un million de démocrates qui seraient supposément des agents de Poutine.

Cette diffamation témoigne à la fois de l'isolement de Pelosi, Biden et du reste de la direction démocrate par rapport aux sentiments sincères de millions de travailleurs et de jeunes, et de leur désespoir croissant face à l'impopularité manifeste des actions de l'administration Biden, qu'il s'agisse de soutenir le génocide israélien à Gaza ou, plus largement, en Ukraine et en Extrême-Orient, partout où la guerre impérialiste menace d’éclater.

(Article paru en anglais le 30 janvier 2024)

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